jeudi 31 mars 2011

Highway To Health, PNEU, Head Records, Mars 2011 (Par Riton)



       Attention!! Ceci est un avertissement à ne pas prendre à la légère! Si jusqu'alors je n'avais chroniqué que des albums relativement pop (les derniers Smith Westerns et Danielson, pour ceux qui nous rejoindraient en route), mon album du mois de mars se présente plutôt sous le signe de la gifle tonitruante en règle. N'ayez pas peur et laissez vous prendre au jeu... en voiture comme dirait l'autre!

       Cette fois-ci, il sera question du nouvel album de Pneu, duo guitare-batterie originaire de Tours, intelligemment intitulé Highway To Health (sans quelconque référence à un petit groupe de stade australien). L'entier paradoxe de mon être veut que d'une part je déteste au plus haut point la technicité abusive en musique et que d'autre part j'adore le math-rock (admirez d'ailleurs la complexité de cette phrase, sorte de mise en abyme littéraire, parfaite pour le donner le ton de cette chronique). J'avais déjà pris grand plaisir en 2010 à me délecter des dernières sorties de Marnie Stern et Zach Hill et c'est une joie particulière de voir nos frenchy de Pneu emboîter le pas en 2011.

       Si l'on peut accorder une chose à ce Highway To Health, c'est que le groupe ne se laisse pas aller à des déballages pompeux et brille par son efficacité. Pourtant, JB et Jay, respectivement batteur et guitariste, ne sont comme qui dirait pas des manches et prennent un malin plaisir à nous montrer leur savoir faire.

       Plus puissant et plus rentre dedans que son prédécesseur, on peut dire de cet album qu'il envoie clairement la gomme. On ne peut pas non plus dire que Pince Monseigneur, premier effort du groupe sorti en 2009, était mollasson... bien au contraire. Cependant, la production de Kurt Ballou (Converge) pour Highway To Health écrase tout sur son passage. Pneu est meurtrier, à l'image de son homologue cinématographique Rubber.

      9 morceaux, 26 minutes (à deux minutes près la durée exacte de l'album précédent) et pas une seconde de répit : Pneu nous assène d'un déluge de polyrythmies endiablées, de noise-rock déstructuré instrumental (si l'on excepte le très catchy et rock'n'roll ''Knive Fight'' et ses cris sur-aigus façon groupies enragées), qui ferait tourner la tête à un plus d'un matheux fan de Don Caballero, Hella ou autres Tera Melos. Mais le duo n'a pas à rougir des formations pré-citées, tant sa capacité à transformer une matière à priori indigeste en délice d'intensité pure est particulièrement remarquable. Pendant les 26 minutes de passage à tabac sonore, le groupe s'octroie quelques envolées mélodiques (''Grill Your Eyes'', ''Wagy's Cup'', ''Highway To Health'') voire dansantes, à l'image du très tropical ''Tropicon'' (étonnant!). Pneu confirme ici que le math-rock n'est pas qu'une musique cérébrale (par des musiciens, pour des musiciens...) mais qu'elle se veut également festive.

       Highway To Health, avec l'arrivée des beaux jours du printemps, peut déjà être présenté comme concurrent sérieux aux ''Summer Music Awards'' : une bande son à écouter en short, tongues et chemise à fleurs, au beau milieu d'un circle pit, avant la dégustation rituelle d'un pina colada. Jantes dames et damoiseaux, il n'y a rien à faire d'autre que de se laisser porter par les incessantes et néanmoins agréables agressions bruitistes des deux compères.

       High To Health : l'album de la p(r)ostérité? En tout cas une galette mémorable à inscrire au panthéon déjà bien rempli du math-rock.

Riton

Highway To Health en trois mots : puissant, festif, tentaculaire


Ecouterhttp://www.deezer.com/fr/music/pneu/highway-to-health-916136#music/pneu/highway-to-health-916136

Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être :


  • The Forks, THE FORKS, Maximum Douglas Records, 2011 : une autre petite pépite française du mois de mars, à tel point que je m'étais promis de parler un minimum d'eux ce mois-ci (dans la limite du cohérent). Premier album et qualité déjà au rendez-vous : duo math-rock noisy extrêmement proche de Shellac... pas étonnant lorsqu'on apprend que Bob Weston est à l'origine du mastering. L'album est à écouter gratuitement, ici.

  • Hold Your Horse Is, HELLA, 5 rue Christine, 2002 : premier album du groupe de Zach Hill. Époustouflant! Il sonne comme un manifeste du math-rock tentaculaire : à la fois ultra-technique et mélodique.

  • World Class Listening Problem, DON CABALLERO, Relapse Records, 2006 : Considérés comme parmi les pionniers du math-rock, Don Caballero sert ici un album prenant, tout en tension, servi par l'impressionnant jeu de batterie de Damon Che. Probablement le meilleur album du groupe à ce jour!

  • More Skin With Milk-mouth, GIRAFFES? GIRAFFES!, 2007 : duo américain complètement fou. Ils nous servent ici un album haut en couleurs, directement inspiré par la savane.

  • Marnie Stern, MARNIE STERN, Kill Rock Stars, 2010 : histoire de finir sur une touche de glamour, voici le troisième et dernier album de la belle Marnie Stern, guitariste extra-terrestre, reine du tapping et des structures alambiquées. Pour ceux qui pensaient que frisson et math-rock n'allaient pas de pair, Marnie Stern délivre là un bon démenti. Petit bonus : l'ami Zach Hill est derrière les fûts et la production.

Last Of The Country Gentlemen, JOSH T. PEARSON, Mute Records, mars 2011 (Par Gagoun)



       Alors qu'on ne l'attendait plus, voilà qu'un OVNI débarque d'on ne sait trop où sur notre bonne vieille terre. Cet OVNI n'est autre que Josh T. Pearson dont le seul fait d'armes discographique est un double album aussi génial qu'oublié sorti au début des années 2000 avec son groupe d'alors Lift To Experience... Le frontman texan se retrouve alors tel un poor lonesome cowboy à errer dans les sphères musicales underground, de concerts intenses en concerts intenses vous diront certains, avec sa seule guitare pour compagne, chapeau vissé sur le crâne et barbe de euuuuh... cent ans ?!!?

       Un personnage atypique donc qui, lassé par les critiques de l'époque ''Lift To Experience'' s'est éloigné d'un monde qui ne semblait pas vraiment lui correspondre. Et pourtant, cet homme possède dans sa voix, dans son interprétation, quelque chose qui tient de la grâce. Et de grâce parlons en tiens. M'est avis en effet que, parmi tous ces chanteurs à voix haut perchée comparés systématiquement à un autre OVNI répondant au doux nom de Jeff Buckley, le texan tient une vraie place de choix, pour le coup loin d'être usurpée. Plus qu'une question de technique vocale, il s'agit vraiment d'aura, de majesté et d'intemporalité.

       Outre la voix, voilà aussi ce qui ressort de ce premier album solo. Un album sobre et dépouillé qui voit Josh interpréter une folk sombre et lumineuse à la fois, se laisser aller au fil des minutes avec simplement sa guitare acoustique. Un disque brut dans lequel son auteur se met à nu, qui n'a aucune autre prétention que l'expression pure et simple d'un homme, sa voix et son instrument. Enregistré en deux nuits à Berlin, cette oeuvre possède l'urgence de l'émotion notamment due à une production brute et à une forme dénuée de tous artifices. Si cet album agit donc comme une sorte de catharsis, il apparaît paradoxalement aussi comme hors du temps, suspendu dans les airs grâce aux paroles et au ton presque solennels, apaisants, voire religieux qu'ils dégagent. Cette galette n'est donc pas sans rappeler le Pink Moon de Nick Drake, dans son besoin vital d'expression, la dureté de son enveloppe et l'aura qui rayonne par dessus celle-ci.

       La mélancolie permanente qui en ressort est donc particulièrement touchante, les sept chansons sont juste belles. Elles prennent leur temps, approchant parfois les dix minutes, sont composées de mélodies qui se font et se défont au sein du même morceau, d'envolées furtives, de chuchotements... puis de silences comme autant d'inspirations avant de repartir de plus belle. Ces mêmes chansons sont ornées de manière discrète et ponctuelles de violons gracieux assurés en grande partie par l'excellent Warren Ellis (Nick Cave and The Bad Seeds, Grinderman, Dirty Three) et qui viennent magnifier un moment, un arpège, une parole. Enfin, la clôture de l'album : quelques notes de piano... puis des choeurs viennent soutenir la voix de notre cowboy lunaire afin d'accentuer ce côté religieux. Comme pour boucler la boucle, en écho à la fin de son album regretté... Mais si, rappelez-vous, Lift To Experience... la première partie de leur unique album se terminait déjà sur une envolée de choeurs.

       Pendant ces dix années Josh T. Pearson s'est donc débarrassé de cette enveloppe électrique presque charnelle qui caractérisait ses débuts. Il se montre ici, dans son intimité, à fleur de peau, met à nu son âme, une très belle âme, assurément.

       Pourvu que ce nouvel album ne le fasse pas fuir encore dix ans. Ceci étant, s'il s'agit de la maturation nécessaire à la composition de ces chansons, je serais, à l'image de son oeuvre, patient et serein dans l'attente d'un nouveau petit miracle... A écouter quelque part, n'importe où la nuit, les yeux rivés vers les étoiles...

Gagoun

Last Of The Country Gentlemen en trois mots : intemporel, mélancolique, apaisant


Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être : 

  • The Texas Jerusalem Crossroads, LIFT TO EXPERIENCE, Bella Union, 2001 : Difficile de ne pas évoquer le seul témoignage de ce groupe unique lorsque l'on se penche sur le parcours de Josh T. Pearson. Encore dix ans et on classera ce disque dans la catégorie des albums maudits et mésestimés. Un style singulier rassemblant le meilleur de Jeff Buckley, la alt country texane, le noise-rock et le post-rock les plus inspirés. Tout ceci au sein d'un double album concept et donc cohérent. Quand un OVNI en précède un autre...

  • Grace, JEFF BUCKLEY, Columbia, 1994 : Seul album sorti de son vivant, Grace est le chef-d'oeuvre de Jeff Buckley pour toute une génération fascinée par le chant habité  du monsieur et son rock unique, à la fois fervent, majestueux, fragile et capable d'explosions magistrales. Si cet amoureux de Leonard Cohen avait vécu plus longtemps, peut-être aurait-il eu l'envie de sortir un album accompagné de sa seule guitare...

  • Songs of Love and Hate, LEONARD COHEN, Columbia, 1971 : un joyau noir, cette oeuvre intimiste, simple et dépouillée est souvent considéré comme l'album le plus sombre de l'artiste. Peut-être le plus beau aussi... Suffit d'écouter "Famous Blue Raincoat" pour s'en convaincre...

  • Pink Moon, NICK DRAKE, Island, 1971 : petite perle rare de la folk anglaise, cet album a été enregistré par un artiste méconnu de son vivant en deux sessions de deux heures chacune. Sans fioritures, ces ballades mélancoliques s’enchaînent avec des mélodies lumineuses et dépouillées. Cela ne vous rappelle-t-il rien? Cette oeuvre est aujourd'hui un classique du genre...