dimanche 1 janvier 2012

Kinship : the Full Cycle , HER NAME IS CALLA, Denovali, Décembre 2011 (Par Gagoun)



       Cinq heures du mat', l'insomnie guette, la crève aussi, les pensées crient bataille, une vraie guerre de tranchées et cette musique dans la tête, sans cesse. Une bonne vieille habitude de célibataire endurci: écouter de la musique pour m'endormir. Cette fois-ci c'est un OVNI : Kinship : the Full Cycle d' Her name is Calla. Tout un programme. Car il ne s'agit pas d'un simple cd mais plutôt d'une rétrospective de la courte et prometteuse carrière de ce groupe prolifique et hors normes. Et j'ai bien dit rétrospective et non "best of" (beurk!). Je vous explique le concept : l'intégralité des deux albums du groupe anglais entrecoupés par des inédits, des singles, des ep's. Tout cela sur un double album qui se veut cohérent du début à la fin. Il faut avoir envie de se farcir du Her Name is Calla pendant trois heures, ni plus ni moins. Alors ça va sans doute en rebuter plus d'un mais, franchement, ça vaut le coup tant cet album est passionnant.

       Mais tout d'abord revenons au groupe : Her Name is Calla s'est fondé autour de Leeds, Leicester et York dans les environs de 2004. Après de nombreuses autoproductions, ep's et autres splits, les cinq musiciens se sont retrouvés en studio en 2008 pour enregistrer leur premier long format The Heritage suivi d'un second : The Quiet Lamb en 2010.

       On les catégorise souvent dans la mouvance post-rock. Mais ce groupe, c'est bien plus que cela. Il est de ceux qui ont donné un second souffle au genre en y insufflant une bonne dose de spontanéité indie rock, une ouverture vers la folk et un songwriting, nouveau pour le genre. Ce groupe est à mettre aux côtés d'artistes comme I like Trains, Blueneck, The Farewell Poetry ou encore les survivants montréalais d'A Silver Mount Zion, derniers vestiges d'une époque révolue où le post-rock était l'âme du rock, son exutoire mélancolique, son chef d'oeuvre classique. Car ce genre, essentiellement instrumental, basé sur le principe des montagnes russes, de plages ambiant en montées en puissance électrisantes sur des mélodies fragiles et des textures sonores, a par la suite essuyé de nombreuses critiques comme le rock progressif en son temps. Il faut bien dire que des groupes comme 65daysofstatic, Explosions in the Sky ou encore Mono n'ont pas aidé le style en l'enfermant dans ces clichés virant alors au pathos. Vous l'aurez compris Her Name is Calla est important pour moi, il a dynamité les codes d'un genre qui m'est cher afin de le sublimer et de l'adapter à l'ère du temps.

       Alors voilà, la musique du groupe n'est pas très gaie, elle est même infiniment mélancolique, une mélancolie teintée d'espoir, parfois. Sa musique explose, hypnotise, revêt ses plus beaux apparats pour devenir majestueuse puis se dénude et devient intimiste. Elle est parfois calme et sereine pour mieux nous prendre par surprise et nous plonger dans la noirceur la plus opaque, celle des angoisses les plus terrifiantes. C'est d'ailleurs cette dernière tendance qui domine la première partie de cette rétrospective consacrée à l'album The Heritage et au single A Moment of clarity. C'est aussi le début de la carrière du groupe. Leur musique se veut infiniment sombre, la voix de Tom Morris, déchirante ("A moment of Clarity"). Les déflagrations sonores, dont le point d'orgue reste "New England", sont légions. Le tout est opaque, oppressant. L'Homme est terrassé par ses douleurs, par ses angoisses, la peur d'exister. Puis vient l'accalmie avec la bienommée "Rebirth". Les silences se font plus reposants, espacés aussi, les guitares saturées laissent place à des ambiances acoustiques avec violons, trompettes et j'en passe, des ballades de plus en plus claires, chaleureuses, intimistes et donc rassurantes. L'Homme revit, chasse ses démons, prend ses petits plaisirs comme ils viennent, sans se soucier du lendemain. C'est aussi la fin de The Heritage et le moment de Long Grass , transition subtile vers The Quiet Lamb puisqu'il en annonce la couleur. Cette quiétude toujours mais cette fois-ci, magnifiée. L'intime laisse place à la majesté. On sent un groupe qui prend de l'assurance, se veut confiant et rassurant, l'Homme aussi. En atteste la sublime "Pour More Oil". Attention tout de même aux rechutes, le terrible passage de "Condor and River" ou l'éthérée « Thief », menaçante. Mais il y toujours ces moments rassurants incarnés en partie par l'ep A Blood Promise placé au milieu de The Quiet Lamb. Puis c'est l'emballement final : le triptyque "The Union" qui voit l'Homme retomber dans ses travers les plus sordides à coup de masses électriques avant de s'en extirper de manière violente, urgente et... stop c'est la fin...

       Vous l'aurez compris : ce qui est bien avec la musique, c'est qu'elle est universelle, chacun peut s'y retrouver d'une manière ou d'une autre. Ainsi cet album représente une vie, la Vie, la Mort, la survie, ses hauts et ses bats, ses angoisses et ses moments de sérénité. Il est violent et beau à la fois, mélancolique mais laissant passer la lumière. Il incarne aussi et plus particulièrement la vie d'un groupe qui évolue, qui maîtrise de mieux en mieux son art et qui vient de terminer un cycle comme l'indique le titre de départ : Kinship : the Full Cycle.

       En cette fin d'année, à l'heure où tous les sites et autres magazines spécialisés s'adonnent aux traditionnels classements des meilleurs albums de l'année 2011, exercices toujours très subjectifs, nous avons choisi de prendre le contre pied en proposant une autre vision, plus symbolique, tout aussi subjective mais assumée, de la fin d'une époque, d'un cycle, d'une année. Celle d'un groupe, pour le coup, ou plus largement celle de la vie. Longue vie à Her Name is Calla, longue vie à tous nos proches, longue vie à vous qui nous lisez ou pas. On vous la souhaite bien bonne. Un nouveau cycle qui commence, une excellente année 2012, avec ses épreuves et ses moments jouissifs, pourvu qu'elle ne se termine pas comme dans le film!

Gagoun

Kinship : The Full Cycle en trois mots : passionant, vital, "post" post-rock

En écoute intégrale sur leur bandcamp : http://hernameiscalla.bandcamp.com/album/kinship-the-full-cycle

Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être : 

  • Xanqui U.X.O, GODSPEED YOU! BLACK EMPEROR, Constellation Records, 2002 : véritable manifeste de l'âge d'or du post-rock, ce chef d’œuvre représente, selon moi, la vision moderne et rock des concerts de musique classique et des opéras. Selon la formule consacrée, l'un des cinq albums que j'emmènerais sur une île déserte si je m'appelais Robin Williams.

  • Hoping For The Invisible To Ignite, FAREWELL POETRY, Gizeh, 2011 : une superbe découverte post-rock de cette année 2011 et elle est française en plus. Servie par une poète anglaise et une musique cinématographique, cette œuvre vous emmène très loin dans le monde des songes et se veut immersive, un art total, en proposant un film à la fois sombre et envoûtant pour l'accompagner.

  • Repetitions, BLUENECK, Denovali, 2011 : Même label qu'Her name is Calla, ce groupe possède des allures de Sigur Ros et un sens de la mélodie à tomber par terre. Sur cet album il se réapproprie tous les codes du post rock pour mieux les dégraisser en allant à l'essentiel. Exit les longues plages ambiant et les longues montées en puissance. Ici on privilégie l'efficacité (attention, tout est relatif!) ce qui donne un album fragile et mélancolique mais aussi allant à l'essentiel, direct, touchant, droit au but et c'est plutôt rare pour le genre.

  • The Guillotine Show, KWOON, Autoproduit, 2011 : Encore une bonne surprise de cette année que cet ep des français de Kwoon. Toujours dans une lignée post-rock, les titres se font plus pêchus qu'à l'accoutumée, la voix toujours présente, quelques passages acoustiques aussi. A suivre!

  • Rook, SHEARWATER, Matador, 2008 : Parce que la virtuosité vocale de Jonathan Meiburg n'est pas sans rappeler celle de Tom Morris, parce qu'il règne dans leurs œuvres respectives, une certaine solennité, parce que l'art du silence et l'influence de Mark Hollis hantent leur musique...

Living Room Songs, OLAFUR ARNALDS / Wonders, OLIVERAY, Erased Tapes Records, Décembre 2011 (Par Riton)




       Paris, Gare du Nord - Maubeuge... solitude d'un retour crépusculaire. Il est parfois dur de quitter un endroit qu'on n'aime pas pour un autre qu'on déteste, troquer l'effervescence maladive, nervosité ambiante, contre le calme plat. Il est des voyages où les kilomètres paraissent s'éterniser, où chaque centimètre de rail parcouru semble plus long que le précédent.

       14h37 environ - Départ. Le train s'éloigne peu à peu et l'atmosphère se décompresse. Les derniers vestiges d'urbanité défilent aux fenêtres, comme repoussés. Les quelques heures de sommeils manquantes à mon compteur se manifestent déjà et mes yeux se ferment. A croire que l'inconfort coutumier des sièges en cuir orangés ne sont en rien problématiques. Et pourtant... casque vissé sur les oreilles, sélection musicale minutieusement étudiée (à tel point étudiée que je ne me souviens plus du tout de ce que j'écoutais...) et tentative de prélassement en position jambes allongées ne suffisent pas... Le chuchotement permanent de passagers et l'empiétement de mes voisins dans mon espace vital ne rendent pas la tâche aisée.

       15h30 environ - Compiègne. Déjà... près d'1h dans ce wagon et pas l'once d'un centième de repos. A l'extérieur, une brume épaisse s'élève de l'Oise, la grisaille emmitoufle la ville de manière peu rassurante et toutefois le paysage semble plus beau que celui de ma destination. Je me décide enfin à changer mon fusil d'épaule... du moins tenter de trouver la musique qui conviendra. Ólafur Arnalds... Living Room Songs... tiens pourquoi pas!? En octobre dernier l'artiste néo-classique islandais décide de réitérer l'expérience de Found Songs (2009) : offrir un morceau chaque jour pendant une semaine. Cette fois-ci les sessions sont filmées et se passent dans son salon (d'où le nom... tout simplement). Bien qu'en téléchargement libre au compte-goutte cette semaine là (et d'ailleurs toujours téléchargeables), les morceaux ne sortent sur support physique qu'en décembre et poursuivent la petite histoire d'amour entre le musicien et le label anglais, ô combien fabuleux, Erased Tapes.

       "Fyrsta", "la première"... premières notes, premières mélodies, premiers grincements du piano. Tout cela s'annonce particulièrement grandiose et étonnamment intimiste. Ecouter ce disque revient à participer, prendre place au milieu de l'intérieur coquet d'un appartement de Reykjavik, assis sur un canapé où se trouve un ensemble de cordes délicates (et mignonnes pour la partie féminine d'entre elles). Il est parfois possible de s'imaginer aux côtés du jeune chef d'orchestre dans l’exécution d'une partition à quatre mains. Ça y est je suis parti, pas endormi mais ailleurs... la petite formation à géométrie variable a eu raison de moi, réussi le pari de la proximité qui manquait en 2009. En solo ("Tomorrow's Song") ou accompagné (le reste...), Ólafur Arnalds fait de sa musique classique instrumentale quelque chose de plus palpable, insuffle une dose de quotidien à l’exigence de belles compositions... jusqu'à ajouter quelques brèves incursions électroniques lors du presque post-rock "Near Light" : de quoi présager du bon pour le reste de discographie à venir (et comme le présageait déjà un peu, à sa manière, en 2010 …And They Have Escaped The Weight Of Darkness). Uniquement 23 minutes mais sept morceaux suffisamment majestueux pour être grands, avec en final le somptueux "This Place is a Shelter" (regardez la vidéo, on aurait envie d'y être... d'y avoir été).

       Je ne le remarque pas tout de suite mais mon lecteur, toujours maître dans l'art du caprice, a décidé cette fois-ci de ne pas s'arrêter et de continuer avec l'artiste suivant. Place à Oliveray... la transition semble parfaite : même champ esthétique, même label... l'ordre alphabétique fait parfois bien les choses. Oliveray, c'est l'association de Nils Frahm et Peter Broderick... deux excellents artistes berlinois (Broderick n'est pas allemand, mais américain...). A se demander pourquoi ses messieurs ont attendu si longtemps avant d'enregistrer ensemble, rien que tous les deux... une chose est sûre : après une année aussi prolifique, ce Wonders leur permet de conclure avec brio... voire prendre un peu d'avance sur 2012. L'idée du duo est partie d'une chose simple : reprendre, ensemble, le morceau "Harmonics" d'Efterklang (groupe dont Peter fait partie, en compagnie de sa soeur Heather Woods... et d'ailleurs la seule manière que j'ai trouvé de le voir sur scène jusqu'à maintenant), en vue d'une tournée commune au Japon. De cet enregistrement, sept autres pistes en sont ressorties, en deux jours, sous le nom d'Oliveray.

       Le style n'est pas très éloigné d' Ólafur Arnalds mais l'approche est un poil différente... comme le mix parfait entre l'univers pianistique de Nils Frahm et les mélodies guitare-violon-voix ambient de Peter Broderick. Wonders alterne subtilement entre instrumentaux classiques ("Growing Waterwings" en guise d'introduction/transition), balades folk (l'excellente et discrète reprise "Harmonics"), et mélange des deux ("Hiding Hydration", "You Don't Love", "Just Resign"). Toujours plus serein, je redouble de déconcentration face à de si beaux morceaux, jusqu'au final "Dreamer", invitation à poursuivre le rêve, reprise de l'américaine Jesy Fortino alias Tiny Vipers.

       Il ne me reste plus que quelques dizaines de minutes avant d'attérir... je me repasse en boucle certains des morceaux qui ont fait mon bonheur. J'ai beaucoup plus voyagé que n'importe quel passager de cette ligne, à mi-chemin entre le manteau blanc d'Islande et l'Allemagne. Deux albums complémentaires, une écoute, une chronique... une certaine manière de rendre hommage à un des labels qui a fait 2011, certes sous le signe de la mélancolie, mais également avec l'oeil brillant du mélomane curieux d'entendre la suite.

       17h00 environ - Maubeuge, terminus... pied à terre, la température est descendue... Quitte à connaitre le froid, je retourne au grand nord...

Riton

Living Room Songs et Wonders en trois mots : majestueux, mélancolique, apaisant

Ecouter et voir : http://livingroomsongs.olafurarnalds.com/ (le lien de téléchargement des morceaux, généreusement offerts par l'artiste et les belles vidéos qui vont avec... il est sympa Òlafur!)

http://www.youtube.com/watch?v=FZJW8PJZyus (un petit extrait d'Oliveray)

Si vous aimez ces albums, vous aimerez peut-être : 

  • Eulogy For Evolution, ÓLAFUR ARNALDS, Erased Tapes Record, 2007 : premier album sous la forme de suites numériques... peu ragoutant pour un ennemi des chiffres comme moi! Mais pas de quoi s'affoler tellement c'est beau (et le sera encore plus par la suite)

  • ...And They Have Escaped The Weight Of DarknessÓLAFUR ARNALDS, Erased Tapes Record, 2010 : Toujours du Òlafur Arnalds mais un album proche du post-rock... le seul jusqu'à maintenant avec une batterie... et probablement mon préféré!

  • Felt, NILS FRAHM, Erased Tapes Record, 2011 : Sans conteste un des albums phares de 2011 dans le genre, mais également tous styles confondus... plébiscité par tous (ou presque tous) et c'est entièrement mérité! Enregistré la nuit, dans une ambiance feutrée (Le titre Felt désigne les feutres que l'artiste applique à son piano pour jouer dans son appartement sans déranger les voisins) l'album brille par sa discrétion et sa contemplativité. Tout simplement touchant!

  • How They Are, PETER BRODERICK, Bella Union, 2010 : Difficile de se retrouver au sein de la discographie de Peter Broderick lorsque l'on ne le connait pas. J'ai donc encore une fois décidé de présenter un de mes préférés... et sûrement un des plus proches du travail d'Oliveray. Belles mélodies au piano ou à la guitare acoustiques, simples arpèges, et voix exceptionnelle.

  • A Winged Victory For The Sullen, A WINGED VICTORY FOR THE SULLEN, Erased Tapes Record, 2011 : On peut reprocher tout ce qu'on veut à A Winged Victory For The Sullen, sa sur-exposition sur la blogosphère, sa pitchforkisation massive, suspecte pour un groupe de ce genre... mais surtout pas un manque de talent. Le duo, constitué de Dustin O'Halloran et Adam Wiltzie (rien que ça!), brille à travers son mélange savant de nappes de synthés et de cordes... et en plus Peter Broderick y va de sa petite apparition, au violon. (cadeau bonus, une vidéo récente du groupe en concert : http://www.youtube.com/watch?v=96dGlqSPK8I&hd=1)

  • Live at Sint-ElisabethkerkBALMORHEA, Wester Vinyl, 2011 : Je n'ai que très peu pour habitude de conseiller un album live... mais comme on dit : un excellent live vaut mieux qu'un mauvais best-of (enfin c'est moi qui le dit, je viens juste de l'inventer)... tout ça pour expliquer que face à la discographie impeccable du groupe (j'ai bien tenté de chercher pourtant!) il est difficile de conseiller un album. Mais ce live, enregistré à Gent en 2010, dans toute sa splendeur révèle un groupe encore plus beau qu'à son habitude, avec une set-list parfaite, dans un lieu à sa hauteur.