dimanche 1 avril 2012

Anyway, Your Children Will Deny It, FATHER MURPHY, Aagoo Records, Mars 2012 (Par Riton)




       Je me rappelle d'un Michael London saint, père aimant et courageux dans La petite maison dans la prairie (le bien-nommé Charles Hingalls), ange envoyé sur terre dans Les routes du paradis... image d'Epinal, souvenirs naïfs d'un ancien enfant de la télévision, nourri à coup de rediffusion d'oldies (je suis quand même assez doué pour les coming-out culturels... heureusement qu'il existe le recul). En 1981 (je n'étais pas encore né), il crée le Père Murphy (Le grand frère chez nous... mais rien à voir avec Pascal), personnage à la bonté exemplaire et l'altruisme débordant, au secours des orphelins. Que de bons sentiments! Et pourtant le ciel semble bien plus sombre du côté du trio trévisan Father Murphy.


       A priori aucun rapport entre le groupe et la série, si seulement cette atmosphère si religieuse n'était pas aussi présente : écoeurante de luminosité et de bonnes morales côté petit écran et ascension vers les ténèbres pour Chiara Lee, le révérend Freddie Murphy et Vicar Vittorio Demarin. Ces trois là ont dû être rudement traumatisés par les stigmates laissées par l'Eglise sur leur jolie ville. Temples, statues et piété apparente pour quotidien a de quoi marquer... ou peut-être tout simplement qu'à force de traîner ses guêtres aux quatre coins du globe avec Xiu Xiu, Deerhoof ou encore Sic Alps, les séquelles étaient inévitables... d'autant plus qu'au départ, à l'époque de leur premier album Six Musicians Getting Unknown (2005), le projet semblait bien plus proche musicalement (au regard du visuel, musicalement seulement) d'une confrérie folk à la Danielson, entre folie et... folie, de confession essentiellement acoustique, que de l'amalgame de doom, rock, noise et folk auquel ils sont arrivés aujourd'hui (entre temps ils auront sorti ...And He Told Us To Turn To The Sun, en 2008, avec lequel ils amorceront le changement).


       Car c'est bien une oeuvre noire que Father Murphy nous offre ici... un disque d'une noirceur extrêmement intense, oppressante. Chaque note, chaque son, chaque bruit enfonce le clou d'une production d'outre-tombe inquiétante (le groupe s'est enregistré lui-même et Greg Saunier s'est chargé du mixage), distordue, dans une réverbération permanente, comme enregistrée dans les sous-sols d'une de ces églises italiennes. Peu d'éléments, des compositions minimalistes, mais assénées avec insistance, de répétitions en répétitions, parfois dans une martialité presque néo-folk ("In Praise Of Our Doubts", "In The Flood With Flood"), épique... ou même bruitistes (le presque black metal "It Is Funny, It Is Restful, Both Came Quickly")... surplomblées d'un chant mixte quasi-litanique, incantatoire, répété encore et encore... Chaque morceau est une perle du chapelet constituant l'album et les prières se veulent de plus en plus fortes, comme-ci l'heure du jugement dernier se faisait menaçante. Cependant la fin laisse entrapercevoir un halo de lumière, la renaissance des espoirs... tout n'est pas perdu! ("Don't Let Yourself Be Hurt", en magnifique conclusion).

       Anyway, Your Children Will Deny It... sonne comme l'ultime confession de Father Murphy... en espérant que ce ne soit pas pour autant l'ultime album, mais juste une étape de plus dans une discographie qui gagnerait à faire parler d'elle, un peu plus... un disque charnière vers quelque chose de soit plus sombre (est-ce possible? Bien entendu!) soit de nouveau plus lumineux, mais quoiqu'il soit forcément cathartique.


Riton

Anyway, Your Children Will Deny It en trois mots : religieux, sombre, intense


Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être :

  • And He told us to turn to the Sun, FATHER MURPHY, Boring Machines, 2008 : Le jour où tout a basculé... du moins dans la carrière du groupe. Le son s'alourdit, s'électrifie et laisse enfin transparaître une mélancolie jusqu'alors inédite pour le groupe, qui n'en oublie pas pour autant son sens mélodique "pop" ("I Ran Out of Fuel and a Viper Just Bit Me" en parfait exemple). Un album extrêmement addictif!

  • Union of Irreconcilables, MENACE RUINE, Aurora Borealis, 2010 : Six pieds plus bas encore, le duo québécois Menace Ruine ne fait aucune concession. Martial, drone, dark, folk, black... ajouté à l'impressionante performance vocale de Geneviève Beaulieu... aussi triste que sublime.

  • Blue Water White Death, BLUE WATER WHITE DEATH, Graveface Records, 2010 : Blue Water White Death, c'est Jamie Stewart de Xiu Xiu et Jonathan Meiburg de Shearwater réunis... L'album oscille entre douceur folk et bruitisme... rassure autant qu'il ne surprend... répulsif et attachant, haletant, et finalement presque religieux. C'est un peu comme du Xiu Xiu finalement, l'électronique en moins, et la voix de Jamie Stewart y est toujours habitée, fascinante. On comprend maintenant pourquoi celui-ci s'est entiché de Father Murphy pour partager la scène.

  • Dream SeedsEXTRA LIFE, Africantape, 2012 : Disons que c'est le petit bonus en avant-première... plutôt que de rajouter un énième album passé (j'aurais très bien pu exhumer un énième et obscur album néo-dark-folk pour l'occasion...), je conseille fortement le nouvel album d'Extra Life qui sortira chez nous en mai mais qui est déjà écoutable depuis quelques semaines via bandcamp et spotify. A première écoute, on en oublierai presque l'amour porté par le groupe aux structures compliqués, son style math-rock moyennageux complètement inédit, puisqu'ici tout semble reposer sur l'énorme travail de Charlie Looker... mais je n'en dirai pas plus pour l'instant. Savourez, c'est tout frais!

1 commentaire:

  1. Je sais pas pourquoi j'avais à l'esprit un énième revival soul en lisant ce nom... heureusement que tu m'as remis dans le droit chemin (amen !).

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