mardi 1 mai 2012

Hair, TY SEGALL & WHITE FENCE, Drag City, Avril 2012 (Par Gagoun)



       Ty est est un homme pressé. N'y voyez là aucune allusion artistique franchouillarde, juste la sensation d'avoir devant nos yeux un artiste qui multiplie les albums comme d'autres multiplieraient les petits pains. N'y voyez là aucune allusion religieuse... Pour cette année, pas moins de trois albums nous seront proposés par le grand roux sous diverses formes et autres formations. Il est jeune, il est beau (bien que roux mais n'y voyez aucun appel à la discrimination surtout) et, ce qui nous intéresse, il a du talent. Beaucoup de talent.

       Alors penchons nous sur ce premier volet de 2012 sorti en ce début de mois sur le légendaire label Drag City. Le monsieur n'est pas seul, cette galette est en fait une collaboration avec Tim Presley, alias White Fence, son pote, son alter ego musical, moins prolifique certes mais tout aussi intéressant et ayant eu pour fait d'arme notable d'avoir supporté Mark E. Smith en tant que guitariste au sein du non moins légendaire post-punkisant groupe The Fall. La couleur est annoncée : ici point de guimauve, de jolies mélodies soyeuses, d'ambient éthérée ou de lyrisme exacerbé (je n'ai rien contre : cf les chroniques précédentes!), tout est rock'n roll, psychédélisme, crade, débridé, fou, garage... Les deux musiciens font en effet partie de cette scène garage rock psyché qui émerge de manière assez impressionnante autour de la Californie. Les groupes se multiplient et allient ainsi la spontanéité rock des premiers punks, pas celle des Sex Pistols (n'y voyez là aucune allusion salace) mais plutôt celle d'Iggy Pop and the Stooges ou des New York Dolls avec le psychédélisme des années soixante, 13th Floor Elevator et Jefferson Airplane en tête. Et encore tout ceci reste réducteur tant ce raz de marée musical, qui envahit notamment San Francisco et Atlanta, tend à s'amuser avec toutes les musiques anglo-saxones, qu'elles soient rock, pop, folk ou autres, pourvu que ce soit du bon. S'affranchir des frontières et casser les étiquettes, autant dire que le cocktail est détonnant. Ty Segall se fait d'ailleurs l'ambassadeur médiatique car médiatisé de cette nouvelle scène américaine.

       Ce Hair est donc fidèle à toutes ces caractéristiques. C'est une petite bombe, un condensé explosif (à peine trente minutes, mais quelles minutes!) de ce qui se fait de mieux en matière de garage rock psychédélique. D'abord le son : comme tout bon groupe punk qui se respecte, celui-ci doit être crade, donner l'impression d'assister à une répèt avec les copains. De ce point de vue l'album est une réussite. Ici le son vit, avec ses hasards heureux et ses aspérités. Il n'est pas compressé, la musique nous est envoyée brut, in your face. Les solos de guitare (on dit pas solis ici parce que ça fait pas rock'n roll) sont à la limite de la sursaturation. La batterie envoie du lourd et la basse sonne comme dans les années 60. Nous voilà en terrain connu. Mais sous ces airs de « sans rien y toucher », la production est aussi et paradoxalement un vrai travail d'équilibriste. Car le psychédélisme implique un jeu avec le son, la stéréo, les effets sonores en tout genre. Un son brut mais halluciné. Veuillez vous référer à la fin en forme de feu d'artifice de "The Black Glove/Rag" par exemple. Du bon son en somme.

       Niveau compo, aucune faiblesse à l'horizon. L'album alterne les ballades psyché et les morceaux plus pêchus, tout aussi pysché mais véritables défouloirs rock. Aucun temps mort n'est permis, ça gratte, ça hurle, ça file des hallus (n'y voyez là aucune allusion à l'apologie de certaines substances, quoique...), c'est efficace, ça fout la pêche. On sent l'urgence, l'impérieuse nécessité de s'exprimer mais aussi de s'amuser. Petite faiblesse personnelle pour la clôture "Tongues", sa ligne de basse et son groove psychédélique.

       Cet album est un véritable terrain de jeu ou aucune limite n'a été dessinée. Et tant mieux. « Hair » décoiffe. On se prête volontiers à l'expérience pourvu qu'on ressente le besoin de partir en courant dans la rue, nu de préférence et crier à tue tête que non, le rock'n roll n'est pas mort. Toute autre forme d'expression liée à cette musique est également valable.

Gagoun

Hair en trois mots : crade, halluciné, défouloir


Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être :

  • Goodbye BreadTy Segall, Drag City, 2011 : Dernier album en date du 'Sieur avant ce Hair, Goodbye Bread s'inscrit dans cette lignée évoquée précédemment. Moins débridé, plus posé cependant que sur ces albums précédents, Ty Segall atteint ici une certaine maturité dans la composition avec des morceaux à tomber et des mélodies à incruster dans les têtes.

  • Is Growing Faith, White Fence, Woodsist, 2010 : White Fence vous présente son deuxième album. Plus nostalgique des années 60 et fidèle à cette époque que Ty Segall, moins enclin que son compère à exploser les barrières, cette oeuvre est un bel hommage à la pop psychédélique des années hippies.

  • Let It Bloom, Black Lips, In the red, 2005 : Ces gamins d'Atlanta sont des grands malades. Toujours dans cette mouvance rock'n roll nouvelle, les Black Lips crachent leurs morceaux DIY sans se préoccuper une seule seconde de l'appartenance à un mouvement, à une tendance. Ils s'amusent, jouent la musique qu'ils aiment avec une classe et une insouciance indéniables, point barre. Et mine de rien ils ont un sacré talent de composition. Larry Hardy, fondateur du label In the red rapporte au magazine New Noise à propos d'un de leurs concerts donné à Chicago en 2002 : « Ils étaient incroyables. C'était de la pure folie. Ils avaient un sampler qui ne s'arrêtait pas, répétant sans cesse un cri, ils se battaient à coup de poings sur scène. Cole envoyait des gerbes de vomi et on aurait dit qu'il faisait ça à volonté. C'était purement malsain, le chaos total » (extrait du magazine "New Noise" n°7, Novembre-Décembre 2011). Ambiance...

  • West, WOODEN SHJIPS, Thrill Jockey, 2011 : Excellent album que voici. Produit de manière plus traditionnelle mais toujours barré, ce moment de musique nous offre ce qui se fait de mieux actuellement en matière rock psychédélique, hypnotique et hallucinatoire. Presque un album de transe.

Joan Of Arc Presents : Joan Of Arc, JOAN OF ARC, Joyful Noise Recordings, Avril 2012 (Par Riton)



       Le visage apeuré, boursouflé par les pleurs, celle que l'on appelait autrefois Jeannette redoute bien fort ce que ces hommes pourraient lui faire... ces hommes d'église blessés dans leur foi... il est intolérable qu'une femme s'habille en homme et prétende être missionnée par le seigneur en personne. Impensable! Pourquoi leur dieu aurait-il choisi une femme, du peuple qui plus est, pour sauver la France des anglais? Humiliée, torturée, raillée, la jeune femme est jugée pour une crime qu'elle ne comprend pas, des croyances qu'elles ne devraient pas avoir... un blasphème!

       Il aura tout de même fallu 17 ans à Joan Of Arc pour enfin décider de mettre en musique cette histoire, et réellement donner corps à son oeuvre... 17 ans, depuis sa création, que le groupe n'a de cesse de déconstruire l'image de son passé au sein de la scène emo-rock américaine (bien entendu ici "emo" n'a rien à voir avec ces musiciens et fans mécheux dépressifs). Il s'en est passé des choses depuis 1995, lorsque soudainement les Cap'n'Jazz, alors au plus haut point de leur forme influente, décidèrent de se quitter. Aujourd'hui nous sommes en 2012 et la mafia des frères Kinsella a eu tout le temps de s'étendre et prendre part à une demi-douzaine de projets (un arbre généalogique n'est dans ce genre de cas jamais de refus : ici), de Make Believe à Owls, en passant par American Football et justement Joan Of Arc, et de s'installer parmi les plus fidèles résidents du label Polyvynil et de sa sous-section Joyful Noise. On peut aisément considérer Joan Of Arc comme le terrain de jeu, le défouloir... le projet le plus versatile et instable que ces messieurs (épaulés par des dizaines de musiciens notables de Chicago, dont Victor Villareal, Bobby Burg et Theo Katsaounis) aient pu créer : math-rock aux relents vocaux emo-juvéniles-éraillés, tantôt plus acoustique (Boo Human, en 2008), plus poptronique (Flowers, en 2009) et la plupart du temps complètement foutraque (The Gap, en 2000, probablement le plus complet et fouillé à ce jour). Mais pas l'ombre d'une référence à la pucelle d'Orléans avant cette année... du moins l'année dernière, à l'occasion d'un ciné-concert lors du Chicago International Movies and Music Festival, en accompagnement du film de 1928 réalisé par Carl Theodor Dreyer : La passion de Jeanne d'Arc. Ce n'était pourtant pas la première fois que le groupe composait une bande-son, laissant à Orchard Vale, réalisé par Tim Kinsella en 2007, la primeur de cet exercice. Oh Brother (2011), avec ses 80 minutes, aurait bien pu à sa manière en être une autre, pas du film des frères Coen, mais une oeuvre un peu plus expérimentale... voguant sur des territoires arides, free-jazzants.

       17 ans donc... comme le temps nécessaire pour faire le tour de la question, retourner le problème dans tous les sens, arriver à un son et un style qui rendrait dignement hommage au nom du groupe... et retranscrire la tension qui règne dans le film de Dreyer, ces jeux de regards permanents : d'un côté celui de l'incroyable et impressionnante Mlle Falconneti et de la meilleure interprétation du rôle de Jeanne d'Arc dans l'histoire du cinéma (une bonne leçon de comédie et de jeu d'expressions à Milla Jovovich...) et de l'autre celui de la religion, braquée, campée sur les positions de son carcan, celui de ses accusateurs, parmi lesquels comptent notamment Antonin Artaud et Michel Simon. La tension est renforcée par la lenteur du propos musical, les quelques accords rampants, répétés religieusement, un jeu presque westernisant allant jusqu'à rappeler le Dead Man de Neil Young, plus ambient avec parfois ses quelques notes de synthé soutenues, plus bruitiste également... une tension qui s'amplifie au fur et à mesure du procès, la musique se déstructure, comme se déstructure la situation de la jeune femme, forcée à admettre ses péchés, et finalement se rétracte, quitte à mourir de sa foi, sur le bûcher, sous les coups des guitares distordues et la chaleur des flammes... qu'importe, elle est une sainte.

       Pari réussi, Joan Of Arc Presents : Joan Of Arc, se montre comme un de ces beaux anachronismes artistiques, la rencontre d'un chef d'oeuvre du cinéma muet français avec un groupe d'indie-rock américain semblant lui vouer une admiration certaine... assurément un pied de nez de ma part au défilé traditionnel bleu-marine du 1er mai en hommage à Jeanne d'Arc, fâcheusement symbole, chez nous, de la récupération des mythes à visée politique...

Riton

Joan Of Arc Presents : Joan Of Arc en trois mots : tendu, intense, épique

Ecouter : http://www.deezer.com/fr/music/joan-of-arc/joan-of-arc-presents-joan-of-arc-1710686 (le mieux est encore de synchroniser la bande avec le film)

Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être :

  • Oh BrotherJOAN OF ARC, Joyful Noise Recordings, 2011 : Quatre mouvements d'environ 20 minutes chacun, en collaboration avec 14 musiciens dont Zach Hill (que l'on ne présente plus) à la batterie et Rob Lowe alia Lichens... un album (ou plutôt quatres albums en un seul) dense, contemplatif et perturbant, le plus libre du groupe.

  • Live In Chicago, 1999, JOAN OF ARC, Jade Tree, 1999 - The Gap, JOAN OF ARC, Jade Tree, 2000Life Like, JOAN OF ARC, Polyvynil Record Company, 2011 : Tour d'horizon sélectif sur la discographie pré-Joan Of Arc Presents : Joan Of Arc avec ces trois albums : un non-live (le "Live In Chicago" ici fait référence à la ville de résidence du groupe) mélodique, l'art de partir dans plusieurs directions et en faire de belles choses (comme dit dans la chronique) et la rencontre avec Steve Albini.

  • Nosferatu Eine Symphonie Des Grauens Soundtrack 1922, a.P.A.t.T, Autoproduction, 2011 : Le petit plus découverte, un groupe qui me tient à coeur et qui n'en finit pas de me surprendre (un conseil, s'il passe par chez vous, foncez les voir) : ici même exercice, jouer par dessus un des films phares du cinéma muet. Il faut avoir leur culot pour s'attaquer à Murnau de la sorte. Attention, ça commence comme du doom bien gras, mais ça n'est pas gras! A écouter (ou acheter) : ici (http://apatt.bandcamp.com/album/nosferatu-eine-symphonie-des-grauens-soundtrack-1922)