jeudi 2 août 2012

Never, MICACHU AND THE SHAPES, Rough Trade, Juillet 2012 (Par Riton)



       Micachu, attaque éclair!! Au delà de l'affligeante évidence de cette blague (mais avouez que ça vous fait rire!! allez, juste un peu!!), on ne peut qu'être d'accord sur le fait que l'artiste a dû un jour recevoir un sacré coup de jus, mettre les doigts dans la prise, embrasser un paratonnerre en pleine zone d'orages.... ou tout simplement aiguiser son goût pour la loufoquerie au berceau. En tout cas si elle est principale maître à bord de son projet (ou du moins, en formant The Shapes, accompagnée du batteur Marc Pell et de la claviériste Raisa Khan), elle n'est décidément pas seule dans sa tête : un véritable monde décalé, univers pastiche hilarant, peuplé d'on ne sait quoi... mais peuplé... traduit en musique à l'aide d'une pop-électro-punk-lo-fi un brin expérimentale, une pop faites de bruits familiers où la dissonance sert de mélodie et inversement. On comprend tout de suite que le fameux Matthew Herbert (connu pour ses assemblages sonores pour le moins atypiques et ingénieux) aie eu le coup de coeur et décidé de l'adouber dès ses premiers pas en la signant sur Accidental Records et en produisant ensuite Jewellery en 2009.

       Trois ans plus tard voici Never, imprimé rose sur papier toilette, qui semble dire à tord "vite fait, bien torché". Bien torché, à coup sûr, et aussi absorbant qu'un rouleau de Moltonel ("résistant et largement plus moelleux"), mais vite fait sûrement pas! Ainsi même si Jewellery portait déjà un sacré de pied dans la fourmilière avec son contenu agité, probablement le plus agressif et rock jusqu'à maintenant, ici Mica Levi, à la dégaine de punkette british androgyne, enfile avec ses amis les doc' et continue à marcher dans le sillage des sonorités testées en live avec le prestigieux London Sinfonietta (Chopped & Screwed en 2011... en quelque sorte hachuré et ralenti, issu de techniques bien connues du Djing). La musique sonne la plupart du temps comme celle d'une vieille bande enregistrée usée et freinée par l'âge, procurant à l'ensemble un brin de nostalgie ("Nothing", avec Wesley Patrick Gonzales du groupe Let's Wrestle... ce groupe lui-même nostalgique des années 90 si bien décrit par la Blogothèque), une sorte de longue plongée dans le vide ("Fall") au milieu de morceaux courts, aux motifs parfois insipides, pesants, ("Heaven") mais particulièrement entêtants. Ces miniatures de pop concrète ne ramènent pas directement à des objets (bien que ci et à on puisse en reconnaître... entre autres un aspirateur), mais à des textures, des matériaux, des sensations, qui posent Mica Levi en véritable virtuose de la débrouille, armée notamment de sa Chu, une guitare préparée bien décidée à ne sortir que des martèlements métalliques et distordus, et de nombreux instruments insolites.

       Et pour montrer qu'elle n'est pas comme les autres, Micachu illustre cette fois en intégralité les 14 morceaux de son album par une série de clip vidéos colorés, aux décors animés type Point & Clic d'aventure en flash (ou type plan de maison dessiné par des enfants daltoniens) et des jeux d'acteurs et chorégraphies à faire pâlir Francis Huster et le cours Florent réunis. On y voit les musiciens en grande forme revêtant leurs plus beaux habits du dimanche et une poignée d'invités, notamment quelques uns de leurs amis fêtards, Wesley Patrick Gonzales cité plus haut, en travesti au maquillage putassier digne de la Divine de Glen Milstead, ou encore un chien de race poney aussi charpenté que Loana en 2012.

       L'album a beau s'appeler Never, ce serait un tord de ne l'avoir jamais écouté. Encore que ça grille un peu les neurones... moi en tout cas j'en garde un exemplaire dans mon pokedex dans ma discothèque!

Riton

Never en trois mots : fou, foutraque, foufou

Ecouter et regarder en intégralité : http://www.youtube.com/watch?v=WixeZDjP2po&feature=bf_prev&list=PL5FCF8E26A1A4B2A4 (ça commence par "Easy" et ça s’enchaîne tout seul)

Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être :

  • Jewellery, MICACHU, Rough Trade, 2009 / Chopped & Screwed, MICACHU & THE SHAPES AND LONDON SINFONIETTA, Rough Trade, 2001 : D'un côté un premier album rentre-dedans et déjà très original, bordé de relans punk épileptiques, et de l'autre un album live qui changera la face des productions de Micachu. Indispensable pour les amateurs!

  • Paper Television, THE BLOW, Tomlab, 2006 : Duo electro-pop composé de Jona Bechtolt (aka YACHT) et de Khaela Maricich, conjuguant esprit DIY et belles mélodies... à classer entre Postal Service, pour le songwriting électro de talent, Micachu, pour la folie, et une sorte de R'n'B de qualité.

  • CuTe HoRSe CuT, GABLE, Load Records, 2011 : L'un des groupes les plus tordus de l'hexagone a attendu 2011 avant de sortir un album capable d'égaler ses prestations scéniques plus que dantesques, inégalables, après pourtant un certain nombre d'enregistrements. En tout cas ils ne volent pas leur réputation, on rigole, on bouge, on s'étonne des possibilités immenses de leur armada d'instruments maison...plus bluffant que Patrick Bruel sur une table de poker!


Advaitic Songs, OM, Drag City, Juillet 2012 (Par Gagoun)



       Ok, je vais vous épargner la blague douteuse et facile consistant à vous faire croire que je vais vous exposer mon amour immodéré pour quelque chanson entonnée délicatement par les supporters du stade Vélodrome. Parce qu'OM, bien que moins populaire qu'André-Pierre Gignac, est aussi un groupe phare de la scène stoner/doom actuelle et c'est bien entendu cela qui nous intéresse.

       OM, c'est comme une prière, OM, c'est le son originel dans les religions hindouistes et bouddhistes. OM introduit les mantras, elle est une syllabe appelant à la méditation, à une certaine forme de transe. Vous voyez où je veux en venir... Enfin, où veulent en venir nos deux américains. Car oui, OM c'est aussi deux musiciens: le batteur de plomb venu remplacé Chris Hakius en 2009 et le pilier, bassiste et prêcheur en chef Al Cisneros. Le groupe, fort d'une seule section rythmique, a ainsi été fondé en 2003 sur les cendres du légendaire groupe stoner Sleep et son cultissime Dopesmoker, album/morceau de bravoure d'une heure hypnotique qui, au passage, vient tout juste d'être remasterisé et réédité dans une version assez intéressante pour les amateurs non adeptes du « c'était mieux avant... » et je rajouterais « ...quoiqu'il arrive ». Depuis cet album testamentaire, les deux survivants de ce groupe important n'ont cessé de creuser le sillon de la répétition à outrance, l'apologie de la lourdeur, de l'efficacité et enfin du riff sabbathien qui tourne encore et encore jusqu'à l'hallucination auditive pour peu que l'on se perde dans ses méandres. Quelques bribes de paroles scandées suffisent comme des prières et cette atmosphère mystique est bien présente, toujours. En ce sens, OM reste un groupe atypique, reconnaissable entre mille et qui se démarque de bon nombre de ses frères de musique souvent portés par le côté obscur de la force, le trip acide dans tous les sens du terme, Satan et ses acolytes. OM est au dessus de tout cela, OM est serein, habité par cette force portée par une unique basse, lourde, sans concessions, fuzzée ou non. L'essentiel n'est plus là, l'essentiel est dans l'alchimie, l'élévation, le groove. Si beaucoup ont regretté le départ de l'ex batteur de Sleep, Emil Amos est pourtant un maître en la matière. Sûrement plus « démonstratif » que son prédécesseur, le musicien manie parfaitement épure rythmique, lourdeur efficace et breaks en tous genres.

       Ainsi ces Advaitic Songs confirment le virage ou plutôt l'évolution, amorcée en 2009 sur God is good. Après avoir épuré leur son au maximum durant trois albums, le groupe laisse à nouveau la lumière entrer en invitant d'autres instruments à évoluer en leur sein. Pas de guitare comme on pourrait le penser de prime abord dès que l'on parle d'un groupe de stoner classique. Ici ce sont les cordes, les pianos et les instruments traditionnels qui ont la part belle. Cithare, harmonium, tambours et autres percussions viennent enrichir cet univers quasi religieux. Rassurez vous, rien de pompeux ici, les arrangements sont sobres, le son donne chair à ces instruments. Comme sur le précédent album, le petit prodige, musicien « touche à tout » et chanteur exceptionnel, se contentant de quelques chœurs discrets et bien sentis ici, Robert Aiki Aubrey Lowe aka Lichens est de la partie. De stoner, il ne reste finalement que la section rythmique, toujours implacable, la basse se faisant ronde et capable de faire vibrer n'importe qui avec trois notes, la batterie assumant pleinement ce rôle particulier, ce groove au fond du temps, à la fois lent et dansant (la deuxième partie presque dub de ''Gethsemane'' est par exemple à tomber), s'effaçant même parfois au profit de percussions traditionnelles sur les morceaux d'ouverture et de fermeture de l'album. Le chant d'Al Cisneros se fait, quant à lui, mieux amené dans chaque structure de chaque morceau mais aussi plus mélodieux que jamais (parfois, on jurerait entendre Roger Waters, si si!). ''Sinai'' voit son introduction enrichie par le sample d'un chant musulman, généralement entonné lors de pèlerinages à la Mecque. L'introductive ''Addis'' se voit, quant à elle, servie par une incantation, celle d'une voix de femme, une prière encore.

       Au final l'ambiance OM est toujours là, traînant en longueur, en épure. Tout est mystique, hypnotique. Ce qui nous était suggéré auparavant est ici explicité, magnifié par les arrangements et les interventions diverses. Une évolution des plus logiques donc pour un groupe qui réussit à se renouveler en se libérant d'un genre pourtant très codifié sans en renier son essence. Fragile équilibre que celui-ci. Le propos, pour sa part, transcende. L'élévation de l'esprit n'est pas qu'une affaire de trips acides et fumettes de rigueur, elle est aussi une façon de vivre, elle se trouve au plus profond de son être, de sa spiritualité, au delà des querelles de religion. Ses cinq longues chansons d'Aïvata prônent ainsi l'unité de l'être, entre sa spiritualité et son corps. Et cette spiritualité n'a pas de chapelle, elle se trouve finalement en chacun de nous, sans distinction de croyance, et l'athée que je suis, aime cette idée, aime cette musique qui allie mysticisme et efficacité rock car de toute manière, quelques soient nos croyances, quelque soit notre rapport au monde, cet album est une invitation au voyage, à l'échappé belle et même au headbanding.
Gagoun

Advaitic Songs en trois mots : mystique, transcendantal, efficace

  
Un aperçu alléchant par ici: http://soundcloud.com/biz-3-publicity/om-state-of-non-return
 

Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être :

  • PilgrimageOM, Southern Lord Records, 2007 : L'autre facette d'OM, plus épurée, plus électrique, plus monolithique et magnifiée par la production d'un Steve Albini en grande forme. Vous aurez aussi la chance de faire connaissance avec la fluidité du groove de Chris Hakius, maître en stoner.

  • Sleep's Holy Mountain, SLEEP, Earache Records, 1992 : Deuxième album de Sleep, il installe les codes d'un genre qui allait faire des émules après la séparation d'un groupe finalement méconnu et mésestime durant son activité. Son crade, guitares et basses énormissimes, batterie parpaing, compos au ralenti, un Al Cisneros déchainé et un Matt Pike alternant les riffs à la Black Sabbath et les solos furieux, un must du genre. Un must qui annonce le monument que sera Dopesmoker.

  • Dopethrone, ELECTRIC WIZARD, Rise Above Records, 2000 : Dans l'univers du stoner, Dopethrone est un peu l'anti-Advaitic Songs. C'est une peu la face sombre du stoner. Jus Osborn et ses comparses livrent ici une des œuvres les plus intenses du genre. Noires, violentes, lourdes, sabbathiennes et terriblement psychédéliques, ces longues plaintes sataniques reviennent à l'essence d'un rock primitif et vous assomment à tel point qu'il fut, pendant une période, le seul album du genre avec Dopesmoker (on y revient décidément) à pouvoir m'endormir aisément les soirs un peu moroses, au fond de mon lit.

  • Naam, NAAM, Tee Pee Records, 2009 : Voici là une bien bonne surprise à l'époque que ce premier album éponyme du trio de Brooklyn. L'ambiance générale qui se dégage de cette œuvre est proche de l'atmosphère mystique d'OM (certaines lignes de basses aussi!). L'ouverture de l'album, ''Kingdom'' est un morceau fleuve de 16 minutes absolument passionnant et annonçant la couleur de ce qui va suivre. Tout y passe : stoner fuzzé et efficace, grunge/rock pêchu, chant parfois monocorde, parfois plus enlevé et noyé par des tonnes de réverbe, accalmies quasi religieuses baignées de cithare et autres effets psychédéliques, percussions tribales et j'en passe. Passée la première impression d'être assailli de toute part par une musique puissante et qui s'en va dans tous les sens, la cohérence et l'addiction vous apparaîtra pour ne plus vous lâcher.