mercredi 2 janvier 2013

Bish Bosch, SCOTT WALKER, 4AD, Décembre 2012 (Par Gagoun)



       Scott Walker est un grand malade. Bisch Bosh est un album de grand malade. Difficile d'en parler tant la chose ressemble à un objet musical non identifié. Le bonhomme, lui, sévit depuis les années 60, sa musique expérimentale et théâtrale fut d'ailleurs une référence pour bon nombre d'allumés à la grandiloquence assumée comme David Bowie.

       Dans cette œuvre ambitieuse, tout y passe surtout quand il s'agit de déranger l'auditeur à la recherche d'un semblant de repère. Suffit d'entendre la rythmique indus ''in your face'' qui ouvre l'album. Les mélodies sont surtout tenues par la voix si particulière de l'artiste, le fond sonore se caractérisant par une succession d'ambiances sans queue ni tête, un riff par ci, un clavier par là, une batterie qui part aussi vite qu'elle est apparue. C'est simple, si vous commencez à vous familiariser à un groove ou un semblant de repère mélodique, l'auteur se fera une joie de vous les casser aussi sec!

       Les écoutes répétées révéleront cependant des trésors de subtilité mais aussi d'intensité. Avec sa voix de castra, le monsieur instaure à lui seul cette ligne directrice et mélodique qu'il convient de dompter pour commencer à apprécier. Aux passages accapela se succèdent des silences, des moments épurés où la voix se pose sur une seule batterie puis des envolées magnifiquement orchestrées ou terriblement rock qui arrivent sans crier gare. J'en veux pour preuve le passage décapant dans ''SDDSS14+13B (Zercon, A Flagpole Sitter)'', à vos souhaits, avec ce riff, cette batterie qui envoie et ce chant hurlé, trafiqué par quelque effet non naturel. Ce qui est bien naturel par contre ce sont les mélodieuses flatulences introduisant la dantesque ''orps de Blah''. Parmi les autres curiosités, on notera aussi les percussions brésiliennes à la fois incongrues et efficaces de ''Phrasing''. Pour le reste difficile de distinguer un morceau d'un autre tant ils sont déstructurés, sans véritable début ni véritable fin et oscillant entre deux minutes et vingt et une minutes. Mention spéciale tout de même à la clôture ''The Day the Conducator died (an Xmas song)'' qui est tout simplement sublime, qui apaise quelque peu cette fin d'album et réintroduit une certaine linéarité avec ses percussions discrètes, ses accords plaqués et même un vrai refrain bien identifié si si (bienvenue sur la terre ferme!).

       Alors pourquoi cet album ? Non on ne vous veut pas du mal chez Indie vaut mieux que deux tu l'auras, on souhaite juste vous faire vivre une expérience musicale rare, expérimentale et éprouvante certes, mais aussi passionnante à bien des égards : arrangements, production, créativité et beaucoup d'émotions en perspective si vous passez l'épaisse couche repoussante. Il y aurait encore tant de choses à raconter, à décortiquer sur cet album mais cela ne serait pas lui rendre justice car, même d'une densité incroyable, il y règne une certaine épure et un vrai mystère qui ne se traduit pas avec des mots. Certainement l’œuvre la plus ambitieuse sortie cette année avec The Seer des Swans, dans un autre registre. Théâtre de l'absurde, pop, indus, indie rock, un peu tout ça à la fois et autre chose encore. En espérant avoir au moins éveillé votre curiosité... Un grand disque pour finir l'année en beauté. Comme le suggèrent les toutes dernières notes de l'album, Scott Walker et nous mêmes (oui parce que c'est notre pote maintenant) vous souhaitons de bonnes fêtes, fêtes de musique. Et que 2013 soit un meilleur cru encore que celui que nous finissons de déguster ces jours-ci!

Gagoun

Bish bosch : théâtral, ovniesque, envoutant

En écoute intégrale sur deezer : http://www.deezer.com/fr/album/6137148

Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être :

  • The Drift, SCOTT WALKER, 4 AD, 2006 : quoi de plus semblable à du Scott Walker que du Scott Walker. Si le monsieur a une carrière diversifiée et même inégale (on pensera aux reprises de country ou aux adaptations de Brel entre autres), The Drift est un album qui s'inscrit dans la même veine que son successeur chroniqué plus haut. Hermétique, éprouvant, sombre, burlesque, ça vous rappelle quelque chose?

  • Gone To Earth, DAVID SYLVIAN, 4 AD, 1986 : encore un grand monsieur ici : entre art rock, new wave, pop et ambient, David Sylvian a, comme David Bowie, influencé un tas d'artistes. Sa musique chaude, parfois théâtrale, étrange ou légèrement jazzy, sa personnalité androgyne et ce son si particulier qui a fait le bonheur des années 80 et du label 4AD, on retrouve tout ça dans ce magnifique album. Un double disque aux ambitions élevées où l'instrumental fait écho au chanté, un double disque avec la participation d'un certain Robert Fripp... Est-ce donc un hasard si l'on retrouve ses ambiances enveloppantes, éthérées et expérimentales chez Scott Walker? Est-ce un hasard aussi si les deux artistes ont été sur le même label?

  • The Seer, SWANS, Young God, 2012 : tiens parlons en de cet album des Swans : une claque monumentale, un sommet de cette année discographique ! Si Bish Bosch est jusqu’au-boutiste dans la folie et la grandiloquence, The Seer l'est aussi mais plutôt dans la transe et la catharsis. Il s'agit là et de la même manière d'une œuvre ambitieuse aux morceaux à tiroirs et à rallonge. Sauf qu'ici les ambiances prennent le temps de s'installer, les motifs se répètent avant de voler en éclat. La volonté primaire d'expérimenter est également présente mais jamais ennuyeuse. L'électricité noisy se fait plus présente et pesante que chez Scott Walker. De sa voix grave, Michael Gira fredonne tel un crooner sans apparats et malade de noirceur, il chante, il crie. La musique, quant à elle, atteint des sommets d'intensité. A noter les multiples collaborations de classe mais qui ne nuisent jamais à la cohérence du tout. Alors qu'on croyait leurs belles années derrières eux, Scott Walker et les Swans reviennent de manière assez hallucinante en cette année 2012. Qui a dit que les rockeurs vieillissaient mal?


Mythologies, ALOONALUNA, Watery Starve Press, Décembre 2012 (Par Riton)



       On nous a rabâché pendant des mois que la fin du monde était proche, que d'une minute à l'autre nous sombrerons : images à profusion, scénarios catastrophes... On a même vu des gens se construire de douillettes forteresses blindées, accrochés comme jamais à la vie (jusqu'à une dame réclamant le câble et l'accès internet à son ''promoteur de l'apocalypse'' pour on ne sait quelle raison... peut-être pensait elle repeupler la terre grâce à Meetic, ou même continuer à lire nos chroniques), des milliers de nouveaux touristes investir le Pech de Bugarach, ou pire encore, André Manoukian prescripteur rock (merci Syfy, vraiment...). Notons qu'à force de se concentrer sur la date D du 21 décembre, personne ne s'est intéressé à savoir comment serait la suite, comme si, survivants aujourd'hui (comme nous l'anticipions hier), nous ne savions pas à quoi nous attendre, sans plans de reconstruction, sans idées de renaissance.... vie, arrêt et on en parle plus... (allez savoir pourquoi cette dame pensait donc pouvoir encore surfer et regarder la télévision...).

       Sans hurler au parachutage de transition, le monde de Lynn Fister lui au contraire ne connaît pas de ruptures. Il évolue, perpétuellement, absorbant ce qui l'entoure... depuis 2010 et les premières envolées de son animal mi-oiseau mi-papillon, l'aloonaluna, flânant ses ailes et son bec autour de mélodies chaleureuses, et de field recordings comme simples fils conducteurs, chaque sortie de ce projet polymorphe, fruit de collaborations régulières avec divers musiciens (la harpiste Caitlinn Dunn, Thierry Penduff, Will Chase, Robbie Goethe et Christopher Fleeger), se nourrit de la précédente pour l'enrichir. Tout comme les va-et-vient géographiques de sa créatrice (naissance en Floride, enfance en Arabie Saoudite et Nouvelle-Guinée, San Francisco aujourd'hui), l'aloonaluna étend en permanence ses migrations... de la folk/pop aux accents psyché de l'approximatif éponyme (A Loon A Luna) à un ambient organique sans cesse repoussé dans ses retranchements. L'art de Lynn Fister se veut plus que jamais guidé par la nature, il en émane. Les synthétiseurs sont aquatiques (particulièrement mis en avant depuis Diadem or Halo?), les réverbérations aériennes et la faune résolument bavarde des captations d'Amazonie de Christopher Fleeger (''Mythology Aluoatta No. 1'' et ''Pelican Cannot Frog''). La musique n'est plus, elle est juste la résonance des éléments (au contraire des Résonances du mois dernier chez Luminocolor, encore bien attirées par la civilisation), également assemblés plastiquement avec grâce (essentiellement des aquarelles et des collages).

       Après avoir dessiné les contours, les décors, les personnages de ce monde, l'artiste expose ses Mythologies, une immersion transcendantal projetée par la nature elle-même, qui s'observe et se régule, construit, déconstruit… en quelque sorte sa façon bien à elle de montrer, du haut de sa jeune discographie, une capacité exemplaire à prendre du recul et renaître (quand bien même le délai entre chaque sortie est extrêmement court : pas moins de trois cette année), au contraire de tous ces prédicateurs crapuleux en mal de sensations.

       Retour en surface et de nouveau l'envie de plonger... heureusement l'aloonaluna revient rapidement en 2013 pour une split tape très ''drone de dames'' (Taxidermy Of Unicorns), avec outre Rachel Evans, que l'amitié et le talent (et de troublantes ressemblances physiques) poussait Lynn Fister à l'hommage au travers du morceau ''Seasons Like Goddess'', les non-moins douées Alicia Merz (Birds Of Passage) et Felicia Atkinson (Je suis le petit chevalier).

Riton

Mythologies en trois mots : organique, immersif, chaleureux


Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être :

  • Bird Milk, ALOONALUNA, Concertina Records, 2010 / Bunny, ALOONALUNA, Hooker Vision, 2012 : Petit tour d'horizon de la discographie d'Aloonaluna au travers de ces deux albums magnifiques. Le premier s'impose réellement comme un savant mélange de mélodies acoustiques (guitare, xylophone...), de chant et de field recordings, alors que le second prend son envol vers l'abstraction et l'utilisation de grosses reverbs.

  • MosaicAERIAL JUNGLE, Hooker Vision, 2010 : Quand Rachel Evans est seule, elle est Motion Sickness of Time Travel. En couple, elle est Quiet Evenings. En 2010, elle est allé s'acoquiner à Brad Rose (The North Sea) pour vingt minutes d'ambient aussi intéressant que ces deux là savent le faire.

  • Covered in Blue ColorsSPARKLING WIDE PRESSURE, Watery Starve Press, 2012 / Stars Are The Light Show, STEPHEN MOLINEUX, Watery Starve Press, 2012 : Deux premières sorties de la structure créé par Lynn Fister... cassettes colorées, artworks soignés et musiciens de qualité. Qu'en dire de plus si ce n'est que ces albums extrêmement confidentiels valent réellement le coup d'oreille, et le coup de pouce à un jeune label prometteur, honorablement artisanal et qui au delà de la musique s'intéresse également à l'écriture et l'art en général.

  • Sub-Aquatic MeditationPANABRITE, Aguirre Records, 2012 : La nature (ici les fonds marins), vue par Norm Chambers et son laboratoire de synthés analogiques... une musique plus figurée, retro-futuriste et méditative, aux croisements de l'ambient, de l'electro et de la new age.