vendredi 1 février 2013

Blue Willa, BLUE WILLA, Trovarobato, Janvier 2013 (Par Riton)



       J'ai souvenir d'une discussion pas si lointaine (comprenez par là récente, mais je ne sais plus ni quand, ni avec qui...) à propos de la scène italienne, qui sur l'instant, dans un flou total, me donnait une impression de grosse vilaine bête poilue et effrayante. J'étais bien là obligé de me rendre à l'évidence de mon presque manque de connaissances en la matière, qui plus est coincé dans un carcan de préjugés, à l'aune de mièvreries sentimentales variéto-pop embarrassantes (dont la tentative d'hommage de Mike Patton en 2010 dans son Mondo Cane n'aura fait que me conforter dans mes idées). Heureusement pour moi la mauvaise foi n'est qu'éphémère et l'envie de creuser aussi forte que si j'étais australien et propriétaire d'un détecteur de métaux. Difficile d'ailleurs d'occulter la forte impression faite par Father Murphy l'an dernier, ou bien l'excellent spoken-rock italianophone de Massimo Volume, le death-rock des Marigold, Larsen (soit la moitié de Xiu Xiu Larsen), la folk aventureuse de Comaneci ou même encore – pour aller dans les extrêmes – l'activité bouillonnante coté "bruitistes" (Cripple Bastards, Zu ou The Secret pour n'en citer que trois...).

       Puisqu'il est question de creuser et la magie du calendrier faisant bien les choses, la sortie du premier album de Blue Willa tombait à point nommé... pas uniquement parce que le quartet est florentin... mais aussi et surtout parce que son art-rock est excellent... produit par les doigts de fée de Carla Bozulich (particulièrement active cette année : collaboratrice du prochain Aidan Baker et actuellement en enregistrement d'un nouvel album sous son propre nom). Si les mentions "premier album" et "produit par" a toujours eu de quoi faire peur... souligner la tentation inévitable du jeune groupe de faire appel à son mentor (ou au mec qui a enregistré tel groupe, que c'est pas lui parce qu'il était trop cher mais qu'on va quand meme le mentionner...), Blue Willa n'a rien d'une troupe de débutants. Initialement appelé Baby Blue, auteur d'un EP éponyme en 2006 et de deux album (Come! en 2009 et We don't Know en 2010), le groupe se renomme Blue Willa en 2012, comme pour grandir, fuir le stress des premières naissances...

       N'allez pas croire non plus qu'ils ont veilli, ils sont au contraire beaucoup plus fougueux, beaucoup plus intrépides, n'hésitant pas à se lancer dans des démonstrations rythmiques tordues ("Fishes" et son basse-batterie à rendre fou, "Tambourine"... tambourinade cabaret-rock et ses dérapages furieux), à faire parler l’électricité par de gros riffs hargneux et de pointes noisy, de guitares crachotantes, jusqu'à de petites fessées punk bien placées comme sur "Good Glue" (le punk italien... celui qui te casse les dents si tu coupes tes pâtes). A la fois fonceur et assuré, le groupe a rompu le stress mais conservé son blues. Les morceaux aussi parfois emprunts de mélancolie ("Vent" et la superbe conclusion "Spider") débordent de sensualité. L’enchaînement des notes, la rondeur des basses et les voix féminines se révèlent à chaque écoute de plus en plus charnels.

       À cela s'ajoute le travail inestimable de la musicienne et ici productrice californienne, littéralement en amour avec le combo italien, inspirée, de l'enregistrement (en Italie, en Inde et à Paris) au mixage, de ses quelques interventions vocales fondues dans le paysage à ses notes d'intention du livret : une musique qui selon elle joue des tours, habite, maintient en éveil autant qu'elle fait rêver .. elle est en effet captivante, surprenante... et si la filiation entre les deux univers semble si naturelle, ce n'est pas uniquement par influence mais surtout par alchimie et complémentarité.

       Pas si vilaine que ça la scène italienne! Plutôt excitante qu'autre chose quand on fait la bonne pioche... très loin de ces crooners chemise ouverte-chaîne en or-toison apparente scandant des "J'aime toutes les femmes, surtout maman" à longueur de journée. La discussion aura au moins eu le mérite de me remettre les idées au clair, faire ressortir les groupes déjà connus et découvrir cet excellent disque! Vive Blue Willa! Vive l'Italie! Et vive Carla Bozulich!

Riton

Blue Willa en trois mots : surprenant, noisy, sensuel

Écouter sur bandcamp : http://bluewilla.bandcamp.com/

Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être :

  • We Don't Know, BABY BLUE, Trovarobato, 2010 : Plus épuré, l'avant-Blue Willa était déjà bien détonnant, exalté, et marqué au fer rouge par la musique des Geraldine Fibbers. On comprend ainsi encore mieux d'où est née cette passion avec Carla Bozulich, d'autant plus qu'ils l'ont rencontrée en assurant ses premières parties, et qu'est-ce que ça avait l'air bon sur scène!

  • ButchTHE GERALDINE FIBBERS, Virgin, 1997 : Déconstruire l'americana... c'est un peu ce que semblait s'etre donné comme défi ce groupe excellentissime fondé par Carla Bozulich en 94. Sur tout l'album, ces foufous semblent s'en amuser autant que sur le clip du morceau d'introduction "California Tuffy".

  • White DeathBlack Heart, PETER KERNEL, Africantape, 2011 : Oh qu'il est mignon le petit chat noir de la pochette! (ce n'est probablement pas le meme que celui du clip d'au-dessus, ou alors c'est vachement bien fait) Oh que ça tape fort chez ces gens là! Et que c'est diablement bon!

Bridge by Bridge, THE ROBOT ATE ME, Swin Slowly Records, Janvier 2013 (Par Gagoun)



       Une musique rare et précieuse, bricolée dans une mélancolie régressive par un grand enfant. Voici comment on pourrait définir la musique de Ryland Bouchard, l'homme qui se cache derrière The Robot Ate me. Alors le principe n'est pas nouveau, il est même à la mode. Perfume Genius, Bon Iver, Emperor X, Hospital Ships, Youth Lagoon et j'en passe, les adeptes d'une pop/folk fabriquée avec des bouts de ficelles dans la chambre sont nombreux. Le truc, c'est que The Robot Ate Me c'est un peu tous ces artistes à la fois et en même temps un style qui n'appartient à personne d'autre. Le groupe existe quand même depuis 2002 et son génial et inégalé They Ate Themselves. Il en a fait des émules, celui là. Faut-il vous les re-citer?

       Bon et si on causait musique : en gros mise à part l'étiquette pop folk fabriquée avec des bouts de ficelles dans la chambre, l'ami Bouchard compose des piécettes de musiques parfois lo-fi qui tournent autour d'une guitare, qu'elle soit acoustique ou électrique, ou d'un clavier vintage. Vous ajoutez à cela des boucles de batteries ou des beats électroniques, des arrangements plus ou moins discrets de cordes et de cuivres, une voix haut perchée touchante et surtout un gros grain de folie. Car les structures des morceaux sont souvent maltraitées, passant d'un rythme à l'autre sans crier gare, délaissant soudainement une mélodie à pleurer pour une expérimentation sans queue ni tête apparente. Les chansons sont souvent courtes et s’enchaînent avec fluidité de manière à ce que l'entité soit cohérente malgré ce bordel géant, ce manège enchanté mais cabossé. On pense parfois à un Neutral Milk Hotel lunaire ou à des Microphones qui auraient trouvé l'interrupteur pour la lumière.

       Alors qu'a encore à proposer The Robot Ate Me aujourd'hui ? L'apparition surprise de ce sixième album constitue déjà un bel évènement en soi pour les amateurs du groupe qui attendaient patiemment depuis sept ans. Après quelques messages laissés sur les réseaux sociaux et extraits alléchants distribués fin 2012, Ryland Bouchard annonçait ces derniers jours vouloir s'éloigner du circuit traditionnel de l'industrie musicale. Lui, le natif de Los Angeles, venait d'acheter une ferme en Hongrie et partait s'y installer pour faire de la musique autrement. En attendant il était en train de trier trois années de musique pour proposer un nouvel album. Miam!

       Bridge by Bridge, c'est le nom de ce nouvel opus, très court, trente minutes à peine. Trente minutes qui incitent à savourer chaque instant. Pour les éventuels frustrés ne vous affolez pas, l'auteur assure que ce n'est que la première partie de l'album et que deux autres suivront de près. Ah les joies d'internet et de ces distributions originales... Parlons musique maintenant : le bonhomme s'est assagit. Le contenu se rapproche plus de la folk/pop épurée et linéaire de son Carousel Waltz de 2005 que de sa dernière galette en date Good World, plus expérimentale pour le coup. On ne parle même pas de « On vacation ». A chaque œuvre de The Robot Ate Me sa singularité, son univers. Si l'introductive ''The Earth Turns Around'' pose les bases et enchaîne quelques mélodies et rythmes différents de manière abrupte, c'est pour mieux présenter l’atmosphère générale qui composera la suite. De l'indie rock, une electro plus légère qu'à l'accoutumée, quelques touches jazzy et une ambiance proche de la dream pop, inédite pour le groupe. Car si Ryland Bouchard est le seul maître à bord, il est toujours très bien entouré. Ici on retrouve Chad Metheny, officiant dans Emperor X, mais si rappelez vous... D'autres musiciens sont de la partie : DL de Dumb Lunch, Lisa Vironda et Tony Ruland de The Lonely Forest. Les arrangements sont à la fois plus planants et minimalistes, la voix est cachée derrière une fine couche de brouillard. Et quand elle est plus assurée elle laisse place à des chansons organiques plus rythmées. Les deux parties d'''A Light in Darkness'' illustrent parfaitement ce propos. ''A Part of Eachother'', quant à elle, constituerait un vrai tube si elle ne nageait pas sous cette instrumentation texturée emmenée par cette rythmique fragile, presque approximative et d'autant plus touchante et humaine. Et c'est bien là la force de cet album : donner à l'ambiance éthérée, planante de cet univers une chaleur intimiste et et pleine de vie. Autre fait appréciable, les touches de piano et de cuivres sont disséminées avec parcimonie ce qui les rend encore plus précieuses. Aux interludes se succèdent alors des vraies belles chansons au sein d'un album qui suit finalement sa propre logique : on évolue progressivement d'une légère euphorie electro à une dream pop calme et lumineuse puis un indie rock un peu plus pêchu avant de s'éteindre sur des ambiances jazzy. Tout ceci ne nuit aucunement à la cohérence de l'album tant il est emprunt d'un son qui lui est propre, et ce même si il n'est pas issu de la même session d'enregistrement, et d'une âme qui n'appartient qu'à Ryland Bouchard.

       Ce disque, qui n'en est pas vraiment un puisqu'aucune sortie physique n'est annoncée et qu'il n'est pas complet selon les dires de son auteur, est donc une belle réussite de la part d'un groupe à part, justement. Un groupe ou un homme, peu importe, qui tient une place discrète et un peu particulière dans ce monde foisonnant de l'indie. Et si vous désirez prolonger le plaisir, vous pouvez toujours enchaîner sur l'autre facette du monsieur, plus solitaire, plus folk mais pas moins magnifique. Sous son propre nom, Ryland Bouchard est également actif. Depuis novembre 2012, il propose par exemple d'écouter, sur son bandcamp, une collection de reprises et de compositions intitulée Hope Rides Alone, qu'il a enregistrée entre 2010 et 2011 et qui est simplement sublime. Un parfait complément , une nouvelle pierre à son grand œuvre. En attendant la suite... Mais pas dans sept ans, hein Ryland!

       PS: Oui parce que nous, maintenant on ajoute des post scriptum à nos chroniques, c'est bizarre mais c'est comme ça! Alors Ryland, ok on t'a dit ''pas dans sept ans'' parce que ça nous ferait plaisir d'avoir de tes nouvelles régulièrement etc. Ceci dit tu n'étais pas obligé de sortir un ep deux jours seulement après avoir mis à disposition ton nouvel album... A ce rythme là, la chronique, on va devoir l'actualiser plus souvent que notre situation auprès de Pôle Emploi... Bref Circumstance est dans la droite lignée de ce qui a été évoqué plus haut, dans une veine plus electro pop peut être et avec même une pincée de lo fi sur la fin. Il va sans dire qu'il s'agit d'un court bonus, format ep oblige, mais qui peut parfaitement prolonger le plaisir, au même titre que le Hope rides alone dont nous vous parlions il y a quelques lignes. Enjoy et point FINAL.

Gagoun

Bridge by Bridge en trois mots : bricoleur, rêveur, touchant

Pour écouter Bridge by Bridge sur le bandcamp de l'artiste, c'est par ici :
Pour écouter Hope Rides Alone sur le bandcamp du même artiste, c'est par là :
Pour écouter Circumstance sur le bandcamp du re-même artiste, c'est par ici ou par là, enfin suivez le lien quoi : http://music.rylandbouchard.com/album/circumstance

Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être :

  • Carousel Waltz, THE ROBOT ATE ME, 5RC, 2005 : Peut être l'album le plus accessible du groupe mais pas le moins intéressant pour autant. Une œuvre folk plus rêche que celle chroniquée ci-dessus mais pleine de mélodies inspirées, d'arrangements discrets et toujours cette voix, plus touchante que jamais... Splendide!

  • Goodnight Danii, DREW DANBURRY, Emergency Umbrella, 2010 : outre l'amitié qui lie les deux hommes, il existe aussi un même amour des belles mélodies et de l'artisanat dans leurs musiques respectives. De facture plus classique que chez Ryland Bouchard, les compositions restent à fleur de peau, la voix du monsieur n'hésitant pas à se laisser aller à quelques éclats de temps à autre. Un bel album.

  • Pocket symphonies for lonesome subway Cars, CASIOTONE FOR THE PAINFULLY ALONE, Tomlab, 2001 : Comme son nom l'indique Casiotone for the painfully alone base ses petites compositions sur un clavier... vintage, pour rester poli. Sons synthétiques, boites à rythmes magnifiquement pourries, lo fi pure et dure, la musique d'Owen Ashworth est sombre et magnifiquement régressive à la fois. Alors quel rapport avec The Robot ate me me direz-vous? Hé bien cet amour des piécettes bricolées qui possèdent la maturité indie, le ton mélancolique de l'adulte et l'amusement simple et primaire de l'enfant. Du rock quoi!