J'ai souvenir d'une discussion pas
si lointaine (comprenez par là récente, mais je ne sais plus ni
quand, ni avec qui...) à propos de la scène italienne, qui sur
l'instant, dans un flou total, me donnait une impression de grosse
vilaine bête poilue et effrayante. J'étais bien là obligé de me
rendre à l'évidence de mon presque manque de connaissances en la
matière, qui plus est coincé dans un carcan de préjugés, à
l'aune de mièvreries sentimentales variéto-pop embarrassantes (dont
la tentative d'hommage de Mike Patton en 2010 dans son Mondo Cane
n'aura fait que me conforter dans mes idées). Heureusement pour moi
la mauvaise foi n'est qu'éphémère et l'envie de creuser aussi
forte que si
j'étais australien et propriétaire d'un détecteur de métaux.
Difficile d'ailleurs d'occulter la
forte impression faite par Father Murphy l'an dernier, ou bien
l'excellent spoken-rock italianophone de Massimo Volume, le
death-rock des Marigold, Larsen (soit la moitié de Xiu Xiu Larsen),
la folk aventureuse de Comaneci
ou même encore – pour aller dans les extrêmes – l'activité bouillonnante coté "bruitistes" (Cripple Bastards, Zu ou
The Secret pour n'en citer que trois...).
Puisqu'il
est question de creuser et la magie du calendrier faisant bien les
choses, la sortie du premier album de Blue Willa tombait à point
nommé... pas uniquement parce que le quartet est florentin... mais
aussi et surtout parce que son art-rock est excellent... produit par
les doigts de fée de Carla Bozulich (particulièrement active cette
année : collaboratrice du prochain
Aidan Baker et actuellement en enregistrement d'un nouvel album
sous son propre nom). Si les mentions "premier album" et
"produit par" a toujours eu de quoi faire peur... souligner
la tentation inévitable du jeune groupe de faire appel à son mentor
(ou au mec qui a enregistré tel groupe, que c'est pas lui parce
qu'il était trop cher mais qu'on va quand meme le mentionner...),
Blue Willa n'a rien d'une
troupe de débutants. Initialement appelé Baby Blue, auteur d'un EP
éponyme en 2006 et de deux album (Come! en 2009 et We
don't Know en 2010), le groupe se renomme Blue
Willa en 2012, comme pour grandir, fuir le stress des
premières naissances...
N'allez
pas croire non plus qu'ils ont veilli, ils sont au contraire beaucoup
plus fougueux, beaucoup plus intrépides, n'hésitant pas à se
lancer dans des démonstrations rythmiques tordues ("Fishes"
et son basse-batterie à rendre fou, "Tambourine"...
tambourinade cabaret-rock et ses dérapages furieux), à faire parler l’électricité par de gros riffs hargneux et de pointes noisy, de
guitares crachotantes, jusqu'à de petites fessées punk bien placées
comme sur "Good Glue" (le punk italien... celui qui te
casse les dents si tu coupes tes pâtes).
A la fois fonceur et assuré, le groupe a rompu le stress mais
conservé son blues. Les morceaux aussi parfois emprunts de
mélancolie ("Vent" et la superbe conclusion "Spider")
débordent de sensualité. L’enchaînement des notes, la rondeur des
basses et les voix féminines se révèlent à chaque écoute de plus
en plus charnels.
À cela s'ajoute le travail inestimable de la musicienne et ici
productrice californienne, littéralement en amour avec le combo
italien, inspirée, de l'enregistrement (en Italie, en Inde et à
Paris) au mixage, de ses quelques interventions vocales fondues dans
le paysage à ses notes d'intention du livret : une musique qui selon
elle joue des tours, habite, maintient en éveil autant qu'elle fait rêver .. elle est en effet captivante, surprenante... et si la
filiation entre les deux univers semble si naturelle, ce n'est pas
uniquement par influence mais surtout par alchimie et
complémentarité.
Pas
si vilaine que ça la scène italienne! Plutôt excitante qu'autre
chose quand on fait la bonne pioche... très loin de ces crooners
chemise ouverte-chaîne en or-toison apparente scandant des "J'aime
toutes les femmes, surtout maman" à longueur de journée. La
discussion aura au moins eu le mérite de me remettre les idées au
clair, faire ressortir les groupes déjà connus et découvrir cet
excellent disque! Vive Blue Willa! Vive l'Italie! Et vive Carla
Bozulich!
Riton
Blue
Willa en trois mots : surprenant, noisy, sensuel
Écouter
sur bandcamp : http://bluewilla.bandcamp.com/
Si
vous aimez cet album, vous aimerez peut-être :
- We Don't Know, BABY BLUE, Trovarobato, 2010 : Plus épuré, l'avant-Blue Willa était déjà bien détonnant, exalté, et marqué au fer rouge par la musique des Geraldine Fibbers. On comprend ainsi encore mieux d'où est née cette passion avec Carla Bozulich, d'autant plus qu'ils l'ont rencontrée en assurant ses premières parties, et qu'est-ce que ça avait l'air bon sur scène!
- Butch, THE GERALDINE FIBBERS, Virgin, 1997 : Déconstruire l'americana... c'est un peu ce que semblait s'etre donné comme défi ce groupe excellentissime fondé par Carla Bozulich en 94. Sur tout l'album, ces foufous semblent s'en amuser autant que sur le clip du morceau d'introduction "California Tuffy".
- White Death, Black Heart, PETER KERNEL, Africantape, 2011 : Oh qu'il est mignon le petit chat noir de la pochette! (ce n'est probablement pas le meme que celui du clip d'au-dessus, ou alors c'est vachement bien fait) Oh que ça tape fort chez ces gens là! Et que c'est diablement bon!