Le ''Beach" de Blackout Beach
n'évoque pas une plage de sable fin bordée par l'océan indien et
gorgée d'un soleil redonnant le sourire au touriste cherchant à
fuir quelques instants son quotidien urbain et nuageux. Pour
comprendre la musique de Carey Marcer, allez plutôt voir du côté
du "Blackout". Le même touriste aurait alors plutôt
tendance à se perdre dans une étendue infinie de noirceur, froide
et crépusculaire. Il serait même content de retrouver ses habitudes
et obligations journalières, aussi pesantes soient-elles.
Ceci-dit ce Blues Trip
offre à ses auditeurs une éclaircie bienvenue, une porte d'entrée
aux contours biens définis à l'univers torturé du songwriter
canadien. Bien plus accessible que ces prédécesseurs, cet album est
en fait le résultat d'une session live d'enregistrement de morceaux
essentiellement issus du bien nommé Fuck Death en compagnie
de sa femme et acolyte au sein de Frog Eyes , Mélanie Campbell
à la batterie, du leader de Hot Hot Heat, Dante Decaro à la basse
et au clavier, Carey Mercer assurant bien sûr les parties vocales et
la guitare. A noter aussi la participation du comparse de ce dernier
dans Swan Lake, Dan Bejar, sur quelques morceaux. Vous l'aurez
compris, Carey Mercer est du genre prolifique, œuvrant dans
plusieurs groupes indie rock canadiens de grande qualité, égrainant
sa superbe voix grave et singulièrement expressive sur les scènes
depuis le début des années 2000.
Ici on est plus proche des
sonorités chaleureuses et organiques de « Frog Eyes »
que du minimalisme electro du Blackout Beach habituel, projet solo expérimental du chanteur. Exit les boites à
rythmes faméliques et les synthétiseurs froids comme la mort, les
guitares noisy et les ambiances de blues sous kétamine. Dans une
formation musicale plus classique, le désormais groupe réintègre
une batterie, met la guitare en avant, retrouve des structures plus
conventionnelles pour un résultat vraiment superbe. Les huit titres
provenant des deux précédents opus Fuck Death et
Cloud of Evil, par
ailleurs magnifiquement macabres, sont ainsi transfigurés. Si
l'on reconnaît les airs de ces musiques, tout le talent de
mélodiste, d'arrangeur de Carey Mercer est ici mis en avant et nous
prouve, si besoin en était, que sous les couches expérimentales et
les textures des travaux antérieurs du canadien, se trouvent de
vraies chansons au blues singulier. En terrain moins hostile que
d'habitude subsiste néanmoins la voix de Carey Mercer, plus habitée
que jamais. Aussi les arrangements, bien qu'organiques, restent moins
foisonnant, plus minimalistes que sur un Frog Eyes.
La filiation avec les
précédents albums de Blackout Beach est donc toujours
omniprésente, même si l'on excepte le fait que les compositions
soient issues de deux de ces opus. Toujours sombre mais plus
accessible qu'auparavant, cet album est une petite merveille aux
accents bluesy qui fait briller la fabuleuse voix de son leader.
Cette dernière est réellement magique et fait beaucoup dans le
potentiel addictif de ce Blues Trip. Suffit d'entendre les
deux ballades qui ouvrent et clôturent cette histoire pour s'en
convaincre. De la même manière, le son est splendide, absolument
chaleureux. Il a été immortalisé dans le studio de Dante Decaro
sur l'île de Vancouver. Carey Mercer explique d'ailleurs, sur le
bandcamp du groupe, comment, après un road trip en moto qui les a
amené, sa femme et lui, chez leur ami, il a enregistré ses parties
de guitare avec une vieille Jazzmaster et du matériel des années
60. Non pas que je sois un adepte du « c'était mieux avant »,
loin de là, mais force est de reconnaître que ces vieilles
techniques d'enregistrement analogiques amènent souvent un grain
tout particulier à l'ensemble. Du bonheur pour les oreilles.
En définitive, si vous
ne connaissez pas Blackout Beach, vous pouvez sans problème
commencer par ce Blues Trip.
Il vous ouvrira les portes d'un nouvel univers, riche et dense, dont
le principal fil conducteur est la voix de Carey Mercer. Un peu taré
parfois, légèrement démonstratif d'autres fois, profondément
touchant bien souvent, ce dernier est avant tout un artiste émouvant
donc et doté d'un génie palpable, aussi bien dans la composition
que dans une expérimentation particulièrement en phase avec notre
temps. Bon et puis si vous connaissez déjà Blackout Beach, inutile
de vous dire que vous pouvez foncer!!!
Gagoun
Blues Trip en
trois mots : habité, chaleureux, bluesy
Pour
écouter Blues Trip et lire la petite histoire qui entoure cet
album, c'est par ici : http://blackoutbeach.bandcamp.com/
Si vous aimez cet
album, vous aimerez peut-être:
- Fuck Death, BLACKOUT BEACH, Dead Oceans, 2011 : Difficile de ne pas évoquer l'album dont sont tirées sept des huit
compositions de Blues
Trip.
Largement évoquée ci-dessus, il s'agit d'une œuvre sombre et
introspective que nous offre Carey Mercer en solo. Un très bel
ouvrage qui se distingue de son successeur par une voix plus posée,
grave et surtout par une instrumentation plus froide, faite de
synthétiseurs, de chœurs fantomatiques, de guitares noisy et de
boites à rythmes minimalistes.
- Paul's Tomb : a
triumph, FROG EYES, Dead
Oceans, 2010 : L'autre facette de Carey Mercer, plus énervée,
plus rock. Ce dernier album en date se rapproche plus des travaux
récents de Blackout Beach que les précédents de part un côté
noisy et sombre plus prononcé qu'à l'habitude.
- Enemy Mine, SWAN LAKE, Jagjaguwar, 2009 : Plus calme, moins dense qu'un Frog Eyes, Swan Lake n'en reste pas moins intéressant. Le "supergroupe" est composé de l'inévitable Carey Mercer, Spencer Krug (Moonface, déjà chroniqué dans nos pages, Wolf Parade) et Dan Bejar (Destroyer, The New Pornographers), il propose des morceaux plus directs que ceux de Frog Eyes et que Blackout Beach réunis. Ainsi ce deuxième album s'écoute d'une traite, réhabilitant la guitare acoustique et les ambiances plus sereines. Il sait aussi se faire plus rock et pêchu notamment dans les moments ou Carey Mercer intervient au chant. Enjoy!