jeudi 4 avril 2013

Jealous Heart, MARK TEMPLETON, Under The Spire Recordings, Mars 2013 (Par Riton)



       2045 (ou toute autre date dans le futur suffisamment éloignée-mais-pas-trop pour être crédible), les nombreux descendants successifs d'Irene, Katrina et Sandy, ont peu à peu érodé les derniers rivages d'une Amérique psychologiquement déjà bien atteinte. Les remous actuels emportent et recrachent avec eux tas de souvenirs aléatoires chiffonnés par le temps. Une jeune femme et son enfant chevauchent une part de lasagnes (animal particulièrement en vogue depuis peu, à en croire également la pochette de l'excellent Som Sakrifis de Mohammad sorti le mois dernier... je ne répondrai plus de moi lorsque les artworks seront inspirés de célèbres tartes au chocolat suédoises... les goûts et les odeurs...) à une époque ou malgré le terne des photographies tout semblait encore sourire. Ballottés entre ambiances et sons de l'histoire et de l'imaginaire collectif, le cliché amorce la nostalgie de grands espaces rendus aux trois quarts immergés.

       Jealous Heart débute en surface, là ou les instruments restent parfaitement intelligibles ("Buffalo Coulee") : des guitares folk ambient familières à l'artiste dans ses Standing On A Hummingbird (2007), Inland et Acres Los, son association avec le réalisateur aAron Munson (2009), aux délicates notes de piano amorçant lentement une plongée vers les abîmes. Tour à tour les souvenirs se croisent... ceux de big bands louisianais, aux sections de cuivres en suspension, de tripots enfumés peu recommandables, de petits ensembles de cordes... semblant autant enclin à remonter qu'à racler les fonds, en laissant à la musique une étrange empreinte acoustique. Les échos se font de plus en plus présents et répercutent les sons, qui s'entrecoupent, se dégradent, se saturent... le musicien canadien travaille la matière à la manière d'un projecteur aux pellicules usées et donne par ailleurs suite à la courte mais brillante cassette Scotch Heart (qui, sans pour autant marcher sur les plates bandes de William Basinski et Leyland Kirby, prolonge son exploration des boucles de technologies et dispositifs en décrépitude, dans ce qui deviendra le triptyque Heart). Pourtant maintenant très loin émanent encore appels à l'aide (''Sinking Heart'') et évocation vocale presque soul (à la fin de ''Kingdom Key''), vestiges de vie littéralement enfouis auxquels se confondent éléments plus urbains, contemporains, dans un traitement musical quasi abstract hip-hop/jazz overdown-tempo (des scratchs frénétiques et fantomatiques de turntablist savant aux nombreux et discrets beats organiques en transparence tout au long du disque...).

       Pas tout à fait fataliste, bien au contraire, l'album offre un final (''Straits'') oxygéné, aux promesses d'horizon que les souvenirs éparpillés ça et là laissaient déjà présager au départ. Et comme pour souligner l'importance donné aux résurgences du passé (anachroniquement associés aux éléments du présent, voire du futur) pour la scène electro-acoustique foisonnante dont il fait partie, Mark Templeton offre une résonance toute particulière à sa participation (un morceau composé aux coté d'Ezekiel Honig du label Anticipate) à la colossale compilation ...and darkness came du magazine Headphone Commute, au profit des victimes de l'ouragan Sandy.

       À la fois essoufflé et fasciné, on ressort de cette écoute en se demandant au final où l'on se trouve, où l'on est allé... persuadé d'avoir entendu tout et son contraire, tout et rien mais surtout tout à la fois... et c'est sûrement cette faiblesse qui fait la grande force de ce disque, cette capacité à retenir l'attention, interroger, réfléchir et inciter à ne pas garder la tête hors de l'eau trop longtemps. Pour quelqu'un qui disait vouloir revisiter sa musique, c'est une vrai réussite!

Riton

Jealous Heart en trois mots : nostalgique, apnéique, prenant

Écouter Jealous Heart : http://www.deezer.com/fr/album/6282547 (disponible également sur spotify)

Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être :

  • Scotch Heart, MARK TEMPLETON, Sweat Lodge Guru, 2011 : Première de la série Heart, cette cassette semble littéralement s'embraser, se consumer au fur et à mesure que la musique se déroule. Désespéré, méditatif et par moments (j'avoue que ça faisait longtemps) ''Tailored Buildings'' en tête, étonnamment badalamentien.

  • ...and darkness cameHeadphone Commute, 2012 : 87 morceaux de la fine fleur de l'ambient, du drone et du néo-classique (dont certains artistes déjà chroniqués sur le blog) en hommage aux victimes des catastrophes de 2012... ça donne des heures de beaux et tristes sons, mais c'est pour la bonne cause.

  • EarthBLACK TO COMM, De Stijl, 2012 : Des scènes de désolations aux corps inanimés, d'épaves terrestres et décors post-apocalyptiques, issus du moyen-métrage Earth du Singapourien Ho Tzu Nyen, l'allemand Marc Richter créé une ambiance bleutée, presque océanique, ou l'ambient minimaliste effleure l'electro, la noise, le drone et des prouesses vocales rappelant David Sylvian et Scott Walker.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire