Il fallait bien qu'on
vous en parle un jour! Aidan Baker, c'est le Stakhanov
de la musique, l'omni-président de la nation drone/ambient, le lapin
Duracel de la machine Doom/Shoegaze. C'est bien simple, Aidan Baker,
on pourrait potentiellement le chroniquer tous les mois. Jugez
plutôt : une petite dizaine de sorties depuis le début de
l'année sous différentes formes. Depuis son apparition dans la
sphère indé au début des années 2000, on compte à peu près 150
albums, Cdr's, splits et autres collaborations. A ce niveau là, vous
ne m'en voudrez certainement pas de donner des chiffres à la louche!
En solo ou avec Nadja, le duo qu'il compose avec sa compagne Leah
Buckareff, le canadien offre pléthore de productions variées,
toujours dans un esprit do it yourself, avec finalement peu de
déchets au regard de sa longue discographie.
Alors
pourquoi ce Already Drowning plutôt qu'un autre? Parce que déjà,
il s'agit sûrement d'une des œuvres les plus accessibles du
bonhomme et donc une parfaite porte d'entrée dans l'univers à la
fois singulier, dense et sans frontières de ce dernier. Aussi parce
qu'il bénéficie d'une sortie sur l'excellent label Gizeh Records,
par ailleurs responsable de superbes méfaits ambient avec A-Sun
Amissa ou post rock avec Farewell Poetry. Et puis bien sûr parce que
cet album est simplement beau et touchant.
Ici nous sommes en
terrain slowcore assumé, en territoire post rock éthéré. Le multi
instrumentaliste se dit inspiré par plusieurs mythes concernant les
esprits de l'eau, des légendes sur les divinités féminines. Ainsi
il invite une chanteuse différente pour chaque morceau. Des chants
tour à tour susurrées, scandés, sensuels, lyriques, écorchés, il
y a de quoi tomber amoureux à chaque nouvelle minute. Des langues
différentes aussi, de l'anglais de Carla Bozulich, de Clara Engel ou
de Jessica Bailiff en passant par l'allemand de Joanna Kupnicka et
même le français de Geneviève Castrée, on apprécie les
différentes subtilités du langage d'un Aidan qui s'efface au profit
de ses muses pour un résultat mettant en valeur des voix, des
paroles, chose que l'artiste n'avait jamais vraiment osé auparavant.
A cet égard on pense d'ailleurs au premier album de Farewell Poetry,
cité précédemment, dans cette manière d'allier onirisme, poésie,
chant féminin et post rock.
Si les huit
morceaux qui composent l'album se distinguent par leurs différents
vocalistes et les plusieurs langues qui le traverse, il n'en demeure
pas moins une grande cohérence dans ses musiques qui s’enchaînent
naturellement et qui forment une aventure dans laquelle on se laisse
aisément embarquer. Les arrangements sont superbes, convoquant
violons, pianos, accordéons, cuivres et vents en plus des
habituelles percussions et autres guitares chères à notre ami
canadien. Cette guitare, reconnaissable entre mille, qui, quant elle
s'affole, offre une saturation éthérée et majestueuse. Les
batteries et les percussions électroniques sont, quant à elles,
imbriquées, difficiles à discerner pour une impression rythmique
atypique, sur le fil, parfois bancale mais qui traduit une certaine
fragilité inhérente à un slowcore dont le cœur bat au fond du
temps et qui se marie tout en contrastant avec l'habituelle froideur
des machines de Nadja. Équilibre sensible donc, équilibre aussi
entre épure et envolées, entre le jazz doom introductif de
l'éponyme "Already Drowning" et l'hypnotique et
ambient "Mélusine" chanté en duo par Valérie
Niederoest et Maude Oswald, entre la ballade folk "Mein
Zwilling, Mein Verlorener" et l'envolée texturée et
électrique d' "Ice" interprétée par Liz Hysen.
Inutile de décrire chaque morceau, l’atmosphère suffit,
l'ensemble se suffit à lui même, à vous de découvrir le reste...
Alors voilà cet
album est réellement superbe, on y revient facilement, avec même
une certaine fascination. Aidan Baker nous montre ici qu'il sait
aussi écrire des chansons, des musiques sans pour autant renier son
amour de l'expérimentation. Cet artiste de l'ombre prend aussi très
bien la lumière, une lumière toute relative, tamisée qui absorbe
la légèreté et la mélancolie pour ne faire qu'une seule entité.
Vivement le prochain album... Tiens un nouveau Nadja sort début
mai...
Gagoun
Already Drowning en
trois mots : fragile, hypnotique, sensuel
En écoute intégrale
sur le bandcamp de l'artiste: http://aidanbaker.bandcamp.com/album/already-drowning
Si vous aimez cet
album, vous aimerez peut-être :
- When I See The Sun Always Shines
On TV, NADJA, The End Records,
2009 : Difficile de faire un choix dans cette longue
discographie. Disons que pour y aller progressivement, ce When
I See The Sun Always Shines On TV constitue
sans doute ce qui se rapproche le plus de l'album chroniqué
ci-dessus. De part le format de ses morceaux tout d'abord, il s'agit
en effet d'un album de reprises qui implique forcément une structure
« chanson » plus conforme à l'idée des récents travaux
du canadien (à cet égard je vous conseille fortement le dernier
album en date de Nadja, le doomesque Dolgdrum,
avec sa batterie acoustique et ses riffs qui tuent). On y voit ainsi
apparaître les influences du duo canadien parmi lesquelles Codeine,
pilier du mouvement slowcore dont s'est réclamé Aidan Baker pour
réaliser ce Already
Drowning.
On peut noter aussi une mise en avant, relative certes mais
importante quand même au regard des autres productions du groupe, de
la voix nonchalante, presque murmurée d'Aidan. Ceci étant nous
sommes loin des arrangements nuancés cités précédemment, ici tout
n'est que sursaturation, shoegaze et doom presque indus, à l'image
d'un certain Peter Broderick.
- Liminoid/Lifeforms, AIDEN BAKER, Alien8 Recordings, 2010 : Dans un autre registre, revoici Aidan Baker en solo pour une pièce plus expérimentale dans la forme avec ses longues séquences ambient mais aussi plus mélodique. La présence de nombreux instruments acoustiques, le lyrisme et la progression post rock qui entourent l'album ne sont pas sans rappeler Already Drowning. Cet œuvre illustre bien l'ambiance générale des travaux solo du multi instrumentaliste, souvent plus apaisés que ceux de son groupe principal, Nadja. Grande réussite!
- You Stood Up For Victory, We
Stood Up For Less, A-SUN AMISSA, Gizeh Records, 2013 : Outre Farewell Poetry dont nous
avons déjà parlé dans les précédentes chroniques et Aidan Baker,
il y a aussi A-Sun Amissa chez Gizeh Records. Le label anglais, d'une
rare cohérence dans ses choix artistiques, signe, avec ce collectif
venu de Leeds, l'un des tous meilleurs albums ambient de début
d'année. Là aussi, les arrangements classiques sont de mise, les
mélodies s'articulant autour du piano ou des cordes, se succèdent
avec grâce. Et si les percussions et les voix brillent par leur
absence, l'ambiance demeure proche de celle qui règne sur le dernier
album d'Aidan Baker. Entre néo classique intimiste et ambient
hypnotique, pas étonnant de voir tous ces artistes réunis sur une
tournée commune durant les mois qui viennent de s'écouler.