dimanche 5 mai 2013

Already Drowning, AIDAN BAKER, Gizeh Records, Avril 2013 (Par Gagoun)



       Il fallait bien qu'on vous en parle un jour! Aidan Baker, c'est le Stakhanov de la musique, l'omni-président de la nation drone/ambient, le lapin Duracel de la machine Doom/Shoegaze. C'est bien simple, Aidan Baker, on pourrait potentiellement le chroniquer tous les mois. Jugez plutôt : une petite dizaine de sorties depuis le début de l'année sous différentes formes. Depuis son apparition dans la sphère indé au début des années 2000, on compte à peu près 150 albums, Cdr's, splits et autres collaborations. A ce niveau là, vous ne m'en voudrez certainement pas de donner des chiffres à la louche! En solo ou avec Nadja, le duo qu'il compose avec sa compagne Leah Buckareff, le canadien offre pléthore de productions variées, toujours dans un esprit do it yourself, avec finalement peu de déchets au regard de sa longue discographie.

       Alors pourquoi ce Already Drowning plutôt qu'un autre? Parce que déjà, il s'agit sûrement d'une des œuvres les plus accessibles du bonhomme et donc une parfaite porte d'entrée dans l'univers à la fois singulier, dense et sans frontières de ce dernier. Aussi parce qu'il bénéficie d'une sortie sur l'excellent label Gizeh Records, par ailleurs responsable de superbes méfaits ambient avec A-Sun Amissa ou post rock avec Farewell Poetry. Et puis bien sûr parce que cet album est simplement beau et touchant.

       Ici nous sommes en terrain slowcore assumé, en territoire post rock éthéré. Le multi instrumentaliste se dit inspiré par plusieurs mythes concernant les esprits de l'eau, des légendes sur les divinités féminines. Ainsi il invite une chanteuse différente pour chaque morceau. Des chants tour à tour susurrées, scandés, sensuels, lyriques, écorchés, il y a de quoi tomber amoureux à chaque nouvelle minute. Des langues différentes aussi, de l'anglais de Carla Bozulich, de Clara Engel ou de Jessica Bailiff en passant par l'allemand de Joanna Kupnicka et même le français de Geneviève Castrée, on apprécie les différentes subtilités du langage d'un Aidan qui s'efface au profit de ses muses pour un résultat mettant en valeur des voix, des paroles, chose que l'artiste n'avait jamais vraiment osé auparavant. A cet égard on pense d'ailleurs au premier album de Farewell Poetry, cité précédemment, dans cette manière d'allier onirisme, poésie, chant féminin et post rock.

       Si les huit morceaux qui composent l'album se distinguent par leurs différents vocalistes et les plusieurs langues qui le traverse, il n'en demeure pas moins une grande cohérence dans ses musiques qui s’enchaînent naturellement et qui forment une aventure dans laquelle on se laisse aisément embarquer. Les arrangements sont superbes, convoquant violons, pianos, accordéons, cuivres et vents en plus des habituelles percussions et autres guitares chères à notre ami canadien. Cette guitare, reconnaissable entre mille, qui, quant elle s'affole, offre une saturation éthérée et majestueuse. Les batteries et les percussions électroniques sont, quant à elles, imbriquées, difficiles à discerner pour une impression rythmique atypique, sur le fil, parfois bancale mais qui traduit une certaine fragilité inhérente à un slowcore dont le cœur bat au fond du temps et qui se marie tout en contrastant avec l'habituelle froideur des machines de Nadja. Équilibre sensible donc, équilibre aussi entre épure et envolées, entre le jazz doom introductif de l'éponyme "Already Drowning" et l'hypnotique et ambient "Mélusine" chanté en duo par Valérie Niederoest et Maude Oswald, entre la ballade folk "Mein Zwilling, Mein Verlorener" et l'envolée texturée et électrique d' "Ice" interprétée par Liz Hysen. Inutile de décrire chaque morceau, l’atmosphère suffit, l'ensemble se suffit à lui même, à vous de découvrir le reste...

       Alors voilà cet album est réellement superbe, on y revient facilement, avec même une certaine fascination. Aidan Baker nous montre ici qu'il sait aussi écrire des chansons, des musiques sans pour autant renier son amour de l'expérimentation. Cet artiste de l'ombre prend aussi très bien la lumière, une lumière toute relative, tamisée qui absorbe la légèreté et la mélancolie pour ne faire qu'une seule entité. Vivement le prochain album... Tiens un nouveau Nadja sort début mai...

Gagoun

Already Drowning en trois mots : fragile, hypnotique, sensuel

En écoute intégrale sur le bandcamp de l'artiste: http://aidanbaker.bandcamp.com/album/already-drowning

Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être :

  • When I See The Sun Always Shines On TV, NADJA, The End Records, 2009 : Difficile de faire un choix dans cette longue discographie. Disons que pour y aller progressivement, ce When I See The Sun Always Shines On TV constitue sans doute ce qui se rapproche le plus de l'album chroniqué ci-dessus. De part le format de ses morceaux tout d'abord, il s'agit en effet d'un album de reprises qui implique forcément une structure « chanson » plus conforme à l'idée des récents travaux du canadien (à cet égard je vous conseille fortement le dernier album en date de Nadja, le doomesque Dolgdrum, avec sa batterie acoustique et ses riffs qui tuent). On y voit ainsi apparaître les influences du duo canadien parmi lesquelles Codeine, pilier du mouvement slowcore dont s'est réclamé Aidan Baker pour réaliser ce Already Drowning. On peut noter aussi une mise en avant, relative certes mais importante quand même au regard des autres productions du groupe, de la voix nonchalante, presque murmurée d'Aidan. Ceci étant nous sommes loin des arrangements nuancés cités précédemment, ici tout n'est que sursaturation, shoegaze et doom presque indus, à l'image d'un certain Peter Broderick.

  • Liminoid/Lifeforms, AIDEN BAKER, Alien8 Recordings, 2010 : Dans un autre registre, revoici Aidan Baker en solo pour une pièce plus expérimentale dans la forme avec ses longues séquences ambient mais aussi plus mélodique. La présence de nombreux instruments acoustiques, le lyrisme et la progression post rock qui entourent l'album ne sont pas sans rappeler Already Drowning. Cet œuvre illustre bien l'ambiance générale des travaux solo du multi instrumentaliste, souvent plus apaisés que ceux de son groupe principal, Nadja. Grande réussite!

  • You Stood Up For Victory, We Stood Up For Less, A-SUN AMISSA, Gizeh Records, 2013 : Outre Farewell Poetry dont nous avons déjà parlé dans les précédentes chroniques et Aidan Baker, il y a aussi A-Sun Amissa chez Gizeh Records. Le label anglais, d'une rare cohérence dans ses choix artistiques, signe, avec ce collectif venu de Leeds, l'un des tous meilleurs albums ambient de début d'année. Là aussi, les arrangements classiques sont de mise, les mélodies s'articulant autour du piano ou des cordes, se succèdent avec grâce. Et si les percussions et les voix brillent par leur absence, l'ambiance demeure proche de celle qui règne sur le dernier album d'Aidan Baker. Entre néo classique intimiste et ambient hypnotique, pas étonnant de voir tous ces artistes réunis sur une tournée commune durant les mois qui viennent de s'écouler.


Ruiner, LEE NOBLE, Bathetic Records, Avril 2013 (Par Riton)



       À peine remis d'aplomb, la dérive aquatique du mois dernier nous fait échouer sur les cotes californiennes... Los Angeles pour être précis. Ah... Los Angeles! Ses plages dorées, ses quartiers aux noms de séries TV, ses deux palmiers par habitants et sa débauche de corps ''sublimes, musclés, autobronzés et tatoués''! (on serait presque en plein épisode de la belle et ses princes presque charmants, coté séducteurs, ou des marseillais à Cancun, si on était pas sur Indie vaut mieux que deux tu l'auras). Mais ne vous réjouissez pas trop vite... ou n'ayez crainte, si comme moi pour vous soleil rime avec Biafine, et que malgré l'arrivée tardive de l'été l'envie de chaleur en musique (exception faite d'une petite "merguez party" qui ferait du bien au corps et au cœur) a bien du mal à montrer le bout de son nez et surtout à lutter contre des albums comme celui dont il est question cette fois, pas forcément sombres mais assez pour embrumer la tête des non-initiés...

       Pourtant bien que l'on doute que Lee Noble soit du genre à avoir un jour écrit un "Yakalelo", il serait bien fâcheux de continuer à le pousser directement dans la case des sphères sombres drone, ambient, voire noise, avec lesquels il est familier depuis ses débuts, des quelques splits (Hobo Cubes, Derek Rogers, Ensemble Economique...) au collectif Horsehair Everywhere animé aux cotés de Frank Baugh de Sparkling Wide Pressure, Stephen Molyneux (déjà évoqués en référence de la chronique du dernier Aloonaluna) Geoffrey Sexton, TJ Richards et bien d'autres... sans oublier les sorties de son propre label No Kings Records. Donc bien qu'en effet il ne soit pas illogique de le classer aussi vite, force est de constater l'évolution opérée depuis No Becoming au début de l'année 2011 : certes encore dans la grisaille, affublé d'un étrange casque mortuaire, les éléments pop se faisaient plus distincts, les chansons prenaient des formats relativement plus courts, bien loin de Darker Half (2010) et son instrumental ésotérique. 2011 toujours (septembre), Horrorism creuse le contraste, le noir et blanc se superpose aux couleurs.

       Le cheminement vers Ruiner se dessine clairement... les morceaux sont de petites pièces élégantes, les quelques accords de guitares grattés du bout des doigts ("December", assurément LE single parfait de ce disque, "Demon Pond", "Wiring the Rag") s'imbriquent avec les éléments bruitistes, les échos, les nappes de clavier, les notes d'orgue électronique à boite à rythme intégrée, comme sur "Rewilding", qu'on aurait très bien pu retrouver chez Spencer Krug, et la voix discrète et envoûtante. L'assemblage est minimaliste mais classieux. Au delà du son c'est l'artiste entier qui s'ouvre, à la fois plus introspectif et généreux. Il se montre enfin, là, debout, non loin du sol où les effets s'activent, et repousse les murs de la bedroom music. Il est le Will Navidson instrumentiste dans sa Maison des feuilles, d'un espace confiné devenu explorateur d'autres couloirs, corridors, cavités en expansion... curieux et habité il laisse échapper quelques envolées électriques et mélodiques qui ne peineront pas, nous non plus, à nous aspirer.

      Ruiner est pour ainsi dire la juste continuité des choses, quelques sauts de plus à travers les genres... folk, pop, drone, ambient, noise... tout à la fois... on se dit que le curieux name-dropping "Grouper-meets-Radiohead" avancé par le label n'est finalement pas si inexact, et même plutôt représentatif d'une musique extrêmement riche, pour ne pas dire, ce serait trop facile, noble. Voilà qui fait une pépite (non isolée) suffisamment précieuse pour nous excuser ce retard fortuit de publication. Promis, on ne le refera plus! C'est pardonné? (j'ai déjà lu ça quelque part...)


Riton

Ruiner en trois mots : introspectif, habité, délicat

Écouter en entier sur Deezer : http://www.deezer.com/fr/album/6448830

Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être :

  • No Becoming, LEE NOBLE, Sweat Lodge Guru, 2011 / Horrorism, LEE NOBLE, Bathetic Records : En ajoutant ces albums à Ruiner, on obtient un excellent tryptique, bluffant de cohérence, truffé de petites douceurs... comme ce final "Thoughts Like Flies" sur Horrorism à la sensibilité digne d'un Phil Elverum.

  • FamiliarsINEZ LIGHTFOOT, Digitalis Recordings, 2012 : Jackie McDowell, alias Inez Lightfoot, excelle avec sa folk ambient, répétitive, psychédélique, mélange d'instruments traditionnels et d'éléctronique pas si courant pour une sortie du catalogue Digitalis. On la retrouvait d'ailleurs le mois dernier, en format cassette, chez Lee Noble en personne. Soit dit en passant l'artwork de Familiars est merveilleux.

  • The Sunderland Valves, MOONGAZING HARE, Tarkovsky Green, 2013 : Ce qui aurait été très pu devenir mon album de mois janvier (si Blue Willa n'avait pas été là) méritait de toute façon d'etre mentionné un jour. Folk, pop, drone, ambient, noise, c'était évident... en y ajoutant quelques field recordings, des arrangements plus lissés et un coté plus pastoral, religieux. Et plutot que de trop s'étaler on pourrait juste dire, en gage de qualité, qu'il a été 2eme du top albums de janvier chez les amis d'IRM!