Mon premier est un
pianiste. Classique de formation, toujours aux confins de l'ambient,
à la recherche du son, de l'équilibre fragile entre expérimentation
et sensibilité à fleur de peau, entre l'intime et l'inconnu. Greg
Haines est de ces artistes rares, comme Nils Frahm, toujours à transcender son amour de la musique classique pour en faire une
oeuvre singulière et libre, improvisée mais aussi une
musique de chambre, une musique proche de nous, loin des envolées
orchestrales. Après ses Digressions
qui voyaient ses recherches ambient culminer dans une apogée sonore
prenante, l'anglais nous revient avec un nouvel opus qui, oh
surprise, s'inscrit presque en contre pied de son prédécesseur. Pas
d'affolement pour autant, si les moments calmes et ambient viennent
ouvrir et clôturer ce magnifique Where
we were,
l'enrobage voit son auteur inclure des éléments percussifs et de
nombreux synthétiseurs analogiques à son art. Le percussioniste
Sytze
Pruiksma est alors de la partie quand ce ne sont pas les beats
programmés qui prennent le relai. Aussi le piano a pratiquement
disparu de la partition, mais le son et l'intention de son auteur
sont toujours là, reconnaissables et atypiques. Le monsieur se dit
aussi bien influencé par le dub d'un Lee Perry ou d'un King Tubby
("Something happened") que par des artistes africains comme
Tony Allen ("Habenerro"). Au milieu de ces repères
rythmiques, quelques mélodies envoûtantes marquent. A cet égard "So It Goes" constitue un somment avec sa progression ensorcelante sur quatre accords et un clavier dont l'acidité ne cesse de croître au fil des minutes jusqu'à finir par envahir l'espace. Malgré la
diversité de ces citations, l'album reste cohérent avec pour
principal liant, ce son chaud qui souffle, plein de vie, velouté et
ample, ce son qui rend humaines toutes ces machines. Ce son, c'est
l'oeuvre de Nils Frahm encore une fois, décidément aussi génial
derrière un piano que derrière une console. Ce Where We Were est donc un bien
bel OVNI, très immersif et simplement beau.
Mon second est un
artiste français. Maxime Vavasseur, alias Witxes, est un multi
instrumentiste qui nous avait subjugué avec son premier album,
Sorcery/Geography,
sorti l'an dernier sur Humanist Records. Véritable sculpteur de son,
il nous revient dès cette année avec une nouvelle aventure sonore
répondant au nom d' A
Fabric of beliefs.
Si son prédécesseur possédait des allures de monstre sonique avec
son ambient mouvante et saturée, ce nouvel album se veut plus aéré
et précis, moins monolithique également. Car le voyage que nous
propose l'artiste n'est pas linéaire, il est fait de calme, de
tempêtes, de sursauts, de rencontres surprenantes, d'angoisses et
d'épique, d'épure et de magma. Il y a quelque chose de déroutant
dans cette oeuvre mais qui s'apprivoise au fil des écoutes. Le
tryptique inaugural intitulé "Though Abraxas" nous invite
à commencer le périple: déjà de l'ambient puis une montée en
tension qui s'arrête brutalement pour reprendre son envol un peu
plus tard dans une dernière partie metallique et bruyante. Le ton
est donné. Sauf que les routes empruntées par le voyageur sont
imprevisibles. On y croise une guitare acoustique et un piano ("The
Brands"), un duo basse-batterie hypnotique ("The Apparel"),
des claps entêtants ("The Weaver"), un saxophone endiablé
déjà rencontré sur le précédent opus ( "The Pilgrim")
ou encore une voix grave et fragile en fin de parcours ("The
Words"). Il serait évidemment réducteur de n'énoncer que ces
éléments ponctuels tant cette oeuvre est riche, fourmille de
détails, de sons et tant l'équilibre entre l'organique, l'humain et
les machines est délectable. Comme un voyage vers le futur, un futur
plutôt froid et insaisissable, celui de Jack Kerouac, de Philip K.
Dick et d'Isaac Asimov. "Un tissu de mensonges" vient ainsi
cloturer le tout, nous permettre de redescendre pendant ces 18
minutes d'ambient, véritable hymne au silence inquiet, à l'avenir
incertain.
Mon tout est un
label. Depuis
le temps qu'on tourne autour du pot, que son ombre rode dans les
soutextes de nos chroniques, il serait peut-être temps de le
mentionner clairement: Denovali. La structure allemande très
prolifique est reponsable de quelques uns des meilleurs albums qui
nous aient été donnés d'entendre ces dernières années. On vous
l'a d'ailleurs fait savoir à de nombreuses reprises. Blueneck, Dale
Cooper Quartet & The Dictaphones, Her Name is Calla, Birds of Passage et j'en passe, vous avez tous
entendu ces noms, voire leur musique, souvent sombre et classe, entre
ambient, post rock atmosphérique et néo classique. Nos deux
artistes du mois sont donc issus une nouvelle fois de ce label et
très représentatifs de l'identité de celui-ci. Une manière comme
une autre pour les amoureux de musique que nous sommes de remercier
ces amoureux de la musique qu'ils sont.
Gagoun
Where We Were
en trois mots : atmospérique, percussif, immersif
A fabric of beliefs
en trois mots : ambient, aventureux, futuriste
Ecouter l'album de
Greg Haines sur deezer: http://www.deezer.com/fr/album/6559470
Ecouter
l'album de Witxes sur bandcamp
:http://witxes.bandcamp.com/album/a-fabric-of-beliefs
Si
vous aimez ces albums, vous aimerez peut-etre :
- Digressions, GREG HAINES, Preservation, 2012: Superbe album de Greg Haines, déjà produit par Nils Frahm, celui-ci est dans la continuité des oeuvres d'Arvo Pärt et autres Steve Reich. Il s'agit presque d'un album de groupe puisqu'il voit un nombre impressionnant de musiciens y intervenir parmi lesquels Dustin O' Halloran ou Peter Broderick. Le résultat voit une entité sonore ambient et personnelle émerger au profit de chaque instrument et de compositions magnifiquement minimales.
- Sorcery/Geography, WITXES, Humanist Records, 2012: Phénoménal et inattendu premier album de Witxes, celui-ci a même été réédité cette année par Denovali, et avec une nouvelle pochette s'il vous plaît. Il est le résultat d'une longue recherche de fields recordings, de textures sonores qui émanent de ces quelques notes de piano, de guitares et d'ambiances jazzy. L'oeuvre se conclue par un morceau chanté, plus intimiste acoustique, à l'image de ce qu'il fera par la suite sur l'album chroniqué ci-dessus. Une signature en quelque sorte...
- The Alvaret Ensemble, THE ALVARET ENSEMBLE, Denovali, 2012: Véritable supergroupe composé de Greg Haines au piano, Jan Kleefstra aux mots, Romke Kleefstra à la guitare et Sytze Pruiksma aux percussions (tiens, tiens...) et Nils Frahm au mastering (cela va de soi...). Ce premier album éponyme est le résultat de longues séances d'improvisations données dans la nuit berlinoise, des errances musicales pleines de quiétude et de feeling. Magnifique!
- A Sun Spinning Backwards, TERMINAL SOUND SYSTEM, Denovali, 2013: Voilà encore une parfaite synthèse du son Denovali, une oeuvre quelque part entre Witxes et Greg Haines. Skye Klein, l'homme qui se cache derrière ce projet, a réussi à créer un univers hybride, à la croisée des cordes et du piano néo classique, des ambiances sombres et noisy du doom, des machines indus et des sons electronica. Un album absolument parfait et incroyable de maitrise avec ces quelques parties vocales vocodées somptueuses et magnétiques. Belle découverte!
Classe ce focus !
RépondreSupprimerArf merci! Il me semble que vous en avez fait un aussi sympa par chez vous...
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