jeudi 5 décembre 2013

Oiseaux-Tempête, OISEAUX-TEMPETE, Sub Rosa, Novembre 2013 (Par Gagoun)



       Alors là, pour le coup, en voilà un vrai coup de cœur! Entier, total, sans concessions. Oiseaux-Tempête, c'est en quelque sorte du post-rock, du free rock, de l'ambient, une œuvre éminemment actuelle et politique mais surtout un long voyage comme on en fait plus, avec ses péripéties, ses accalmies, ses rencontres et ses intempéries. Au départ de l'aventure il y a Frédéric D. Oberland, l'homme multipliant les projets de grande qualité comme Le Réveil des Tropiques ou encore Farewell Poetry, collectif sonore et visuel prouvant à lui tout seul qu'on peut être français, faire du post-rock dans les années 2010 et avoir encore des émotions nouvelles à faire passer. C'est simple, le groupe est une des meilleures choses qu'il m'ait été donné d'entendre dans le genre, toute époque confondue. Et de la même manière cet éponyme d'Oiseaux-Tempête, je le place bien volontier entre un Dirty Three et un Godspeed dans ma discothèque. Enfin là je m’égare, point trop de name-dropping tout de même. Car si les influences sont clairement là, le groupe possède avant tout son propre son, sa propre identité. Il y a cette basse entêtante menée par Stéphane Pigneul et qui ne dépareillerait pas dans un groupe de rock psyché, voire krautrock par moments. Il y a aussi le jeu de batterie de l'excellent Ben Mac Connell, tout en nuance, en harmonie avec les envolées du groupe, les moments de tension ou en retenue dans de magnifiques instants d'errance musicale. Et puis il y a ces guitares et ces claviers discrets, emprunts d'un lyrisme à fleur de peau et ces field recordings en toile de fond qui ancrent la musique dans la vie, sur une terre.

       Avec cet album monstre, on se ballade donc à travers la vieille Europe en crise, une Europe majestueuse par son passé comme l’aîné à qui l'on doit un respect presque naturel, une Europe sur le déclin aussi, malade et incapable de se réinventer, enfermant ainsi tous ses habitants dans un cercle sans fin, sans espoir et sans avenir. Chacun d'entre nous pourra s'identifier à cet album, à sa manière, en construisant son propre voyage, sa propre expérience. Cette œuvre possède un pouvoir d'évocation impressionnant en laissant libre cours à l'imagination de son aventurier.

       Avec le thème d'ouverture, on entre dans le vif du sujet : batterie et basse répétitives, guitares hurlantes. Le cadre est posé. S'en suit un moment de grâce, une variation du thème sur quelques accords et notes jouées au violon et à la guitare qui imposent une dimension mélancolique qui ne quittera plus le décor. D'entrée on est happé. La suite alternera à merveille ces moments de quiétude et ces tempêtes sonores. Dans les passages ambient, on retrouve une volonté d'expérimentation à travers laquelle les mélodies sont effleurées, elles se précisent pour mieux nous échapper ensuite (''Sophia's Shadow'', ''Silencer''). Ces esquisses ornent ainsi des dialogues et autres sons enregistrés par Stéphane C., vidéaste et documentariste faisant partie intégrante du groupe (présageant par ailleurs des performances visuelles alléchantes en live), à travers l'Europe et plus particulièrement la Grèce. Les passages plus pêchus font également merveille grâce au groove impeccable de Stéphane Pigneul et à l'inventivité rythmique de Ben Mac Connell (''Buy gold (Beat song)'', ''Kyrie Elison''). Au milieu de tout ça, une guitare, une basse et une batterie viennent accompagner le temps qui passe inexorablement à travers des thèmes lancinants et arides à la beauté incomparable (''La traversée'', ''Nuage noir''). L'équilibre entre l'improvisation née des séances d'enregistrement et les parties écrites et autres collages est parfait, invoque le meilleur de chaque manière d'écrire : la fragilité, l'inattendue et le sentiment d’interaction accru entre des musiciens qui s'écoutent pour mieux évoluer ensemble d'une part, la capacité à surprendre, à secouer l'auditeur, à créer des arrangements d'autre part. Autrement dit on ne s'ennuie pas une seule seconde à l'écoute de ces moments de vie. Et puis il y a ce point d'orgue, ce final apocalyptique que représente « Ouroboros » qui, après une première partie calme, presque éreintée, s'envole dans un dernier souffle vers une pluie électrique à l'intensité prenante, comme si l'album entier avait préparé ce moment précis. Après une légère accalmie, l'achèvement viendra, en deuxième lame de ''Call John Carcone'', sa noise et sa batterie survoltée. Nous venons d'assister à la fin de notre ère. Ne reste plus que le silence et une nouvelle société à construire, ailleurs...

       Au final Oiseaux-Tempête porte bien son nom. C'est là le premier album de ce projet franco-américain et c'est un coup de maître. Il est la bande son idéale de notre monde : sombre, mélancolique, violent, beau, morcelé, incertain. Et si jamais la fin de notre ère est réellement proche, souhaitons juste qu'elle soit à l'image de ce chef d’œuvre.

Gagoun

Oiseaux-Tempête en trois mots: Post-rock, mélancolique, free



Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être :

  • The Freemartin Calf (an original soundtrack), JAYNE AMARA ROSS, FREDERIC D. OBERLAND, GASPARD CLAUS, Gizeh Records, 2013 : Outre Farewell Poetry dont j'ai déjà évoqué plusieurs fois la qualité dans ces pages, ses membres multiplient les projets. Ici on retrouve donc la réalisatrice et poétesse Jayne Amara Ross dans un projet qui lui est très personnel puisqu'elle a confectionné le film expérimental de 40 minutes qui accompagne la bande son. Ou plutôt est-ce l'inverse... Car les projets de cette superbe scène parisienne sont autant visuels, cinématographiques que sonores, musicaux. Aussi ce sont ces mots qui font la trame de l’œuvre sur une musique de Frédéric D. Oberland accompagnée par le violon de Gaspar Claus. A mi chemin entre l'ambient, la musique néo classique et la musique expérimentale, cette œuvre respire la beauté et la fragilité, à l'image du pendant le plus calme de ce que nous propose Oiseaux-Tempête par ailleurs.


  • Le Réveil des Tropiques, LE RÉVEIL DES TROPIQUES, Music Fear Satan, 2012 : Toujours des membres du collectif, on retrouve là Frederic D. Oberland mais aussi Stéphane Pigneul ou encore Stéphane C. pour l'artwork. Ici point de mélancolie ou de « post quoique ce soit », il s'agit juste de bon vieux rock : psychédélique et à tendance kraut s'il vous plaît. Si ce groupe diffère d'Oiseaux-Tempête, on peut déceler malgré tout une même envie d'invitation au voyage et surtout une même volonté d'expérimenter et d'improviser ensemble. Une autre facette du collectif à découvrir d'urgence.

mercredi 4 décembre 2013

Moondog Mask, HOBOCOMBO, Trovarobato, Novembre 2013 (Par Riton)



       "En fin de compte, il s'agit de ramener la musique (ou l'art?) à son premier sens : construire des relations, imaginer de nouveaux mondes, créer quelque chose qui n'est pas ici", c'est ce que suggère en premier lieu le teaser de Moondog Mask, sur fond de "Desert Boogaloo", l'une des cinq compositions de ce nouvel album de onze morceaux... Parce qu'une fois n'est pas coutume et en bon groupe "dédicacé à et inspiré par", la musique de Louis Thomas Hardin se trouve extrêmement présente dans celles des italiens. Une musique qui respire le Moondog à plein nez, où les réinterprétations de titres de l'artiste en disent long sur la passion et le talent avec lesquels elles sont exécutées! Sauf que visiblement l'amour d'Hobocombo (probablement une référence au morceau "Be a Hobo"... non rien à voir avec Charlie Winston...) porté à son mentor ne se mesure plus en reprises, bien plus nombreuses sur Now that it's the opposite, it's twice upon a time qu'ici, mais dans cette fameuse volonté "d'aller plus loin à partir de" et de balayer du revers l'appellation de simple tribute band.

       Ainsi le trio formé par Andrea Belfi (batteur de talent du trio de rock instrumental Rosolina Mar, vu aux cotés de Mike Watt et David Grubbs et cette année avec Aidan Baker et Erik Skodvin au sein de B/B/S), Rocco Marchi (de Mariposa, aussi chez Trovarobato), et Francesca Baccolini, a fait le pari de vêtir le costume du maître avec une nouvelle paire de baskets, appareillé le rock vicieux de la scène italienne (et le folklore de son pays en transparence, par l'utilisation de fields de Roberto Leydi), une patte jazzy élégante et les voyages esthétiques de l'artiste new-yorkais au look viking. Hobocombo foule la sixième avenue, de laquelle Moondog voyageait inlassablement au rythme d'instruments qu'il fabriquait lui-même, d'une science de la composition d'avant-garde, jazz, classique et d'influences amérindiennes.

       Les reprises sont personnelles, les compositions du Moondog... il s'agit autant de se fondre que d'actualiser... Comme lorsqu'ils font de "Theme & Variations" (sur l'album Moondog and his Friends, de 1953) une introduction méconnaissable mais qui ne perd rien de son intensité ou reprennent le thème de ''To a Sea Horse'' pour en faire une version électrique totalement prenante et survoltée, où les siffles tiennent place de chant, la contrebasse et la guitare substituent le piano d'origine. Quand à "Utsu", originellement ancré dans la ville (sur On The Streets Of New York en 1953), il se transforme en exploration sylvestre, mystique au groove enveloppant poursuit par les oscillations folles du Korg MS-10. Seuls les canons (''Canon #6 (vivace)'' et ''Canon #18 (adiagetto)'' ) semblent inchangés mais entièrement à leur place... parfaites interludes vers une americana revisitée, exotique pour Baltic Dance, aérienne pour Response, détonante pour Five Reasons, en conclusion rêvée.

       Une réécriture ultra libre et libérée, audacieuse, qui transcende le propos, qui prouve que si certains ne portent le masque qu'en de grandes occasions, les Hobocombo portent celui-ci en permanence. Nul doute que si le prochain album est entièrement fait de compositions, il ne sera que plus parfait... il ne sera que plus Moondog...

       Par contre, s'il existe un scandale à propos de ce groupe, c'est d'apprendre au moment d'écrire ceci, que j'aurais pu les voir le mois-dernier... constat que le plus magnétique des sons, qui constitue mine de rien le troisième groupe italien chroniqué sur le blog (après Blue Willa, rencontré le mois dernier dans un bar lillois pour un excellent concert devant... deux personnes), ne fera jamais le poids face à une mauvaise stratégie de communication!

Riton

Moondog Mask en trois mots : Exotique, élégant, magnétique


Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être :

  • Now that It's the Opposite, It's Twice Upon a Time, HOBOCOMBO, Trovarobato, 2011 : Le jour ou tout a basculé! Hobocombo synthétisait en quelques reprises son attachement à Moondog... que des reprises mais un avant-gout remarquable et extrêmement stimulant à ce que Moondog Mask exprime aujourd'hui.


  • Elpmas, MOONDOG, Kopf, 1992 : Il serait dommage de ne pas parler d'un album de Louis Thomas Hardin... bien que depuis longtemps installé en Europe, il retourne en 1992 traîner ses instruments en Amérique du Sud (du moins virtuellement), pour un album des plus doux et exotiques, évoquant la foret amazonienne et une conscience politique, écologique, en guerre contre les travers du progrès.