Elle avait
tant de mal, la petite fille aux allumettes, à parcourir les rues et
à braver le froid. Elle préférait souffrir, quitte à laisser la
vie, plutôt que de rentrer et supporter les coups...
Rien
de bien étonnant à voir Anna Von Hausswolf et Matti Bye s'emparer
du texte d'Andersen pour le mettre en musique... par filiation
géographique, et culturelle, certes... mais aussi parce qu'à force
d'accoutumer sa pop en grandes pompes aux accents funèbres, pour
l'une, et d'acharner ses talents vers les bandes originales, pour
l'autre, il était évident qu'une telle histoire de l'auteur danois
du XIXème irait à merveille au duo.
On sent
d'ailleurs tout de suite pour elle une très forte passion, un
attachement certain qui confine au sublime. L'écriture est
scénaristique, chaque temps fort possède son morceau, minutieux
agencement répétitif d'ambient electronique glaciale,
post-classique réservé et dream pop. C'est la dernière soirée de
l'année et les premières notes sonnent dans la mélancolie (avec
une introduction qu'on croirait sortie du Ceremony d'Anna Von
Hausswolf...). Tout est voué au désespoir pour l'enfant gelée
tiraillée par le climat... les superpositions de voix susurrées
(bien loin du maniérisme à la Kate Bush auquel la chanteuse nous a
habitué) évoquent les respirations plaintives d'une errance
douloureuse. Privée de pantoufles qui ne lui seyaient guère et de
clients pour son produit, elle doit être si triste, au milieu des
nappes de synthés et des orchestrations sombres. Au contraire tout
s'éclaire, à la lueur des allumettes. Il faut bien ça pour se
réchauffer. La voix devient plus claire bien que toujours noyée
sous les effets. L'atmosphère se fait de plus en plus féerique, au
son de cordes joyeuses et de tintements brillants. La petite fille
devine les joies des fêtes au delà des maisons et revoit sa
grand-mère... Elle sombre, gelée, et la rejoint au ciel... pas de
sang, pas d'agonie... le bleu du corps tenant pour état de grâce,
un réconfort que la musique, paisible, semble conclure en disant
« ce n'est que le début pour cette enfant ».
En d'autres
lieux le garçon au bonnet d'âne a tout l'air de rêver lui aussi...
tout comme les membres d'Orme auquel il est lié. Plus connus pour
faire grand bruit (avec Sed Non Satia, Ancre, Yoshi Tonku ou Plebeian
Grandstand, le plus radical du lot ayant sorti ce mois-ci un
nouvel album littéralement renversant...), les musiciens
toulousains ont rangé les distorsions et la violence au profit
d'apparats acoustiques. Ici ce n'est plus la maîtrise technique qui
prime (bien qu'on la sente irréprochable), mais une réelle
sensibilité. Le garçon voit plus loin que les murs qui
l'entourent... La folk progressive à fleur de peau du quatuor
suggère plus que jamais le voyage : le lyrisme envoûtant des
accords de guitare et de violoncelle, plus qu'exotiques au milieu des
sorties drone et ambient du catalogue de BLWBCK, de plus en plus
ouvert (l'electro de Sima Kim le mois dernier, la folk de Jens
Boosten en 2013...), et la mandoline, le bouzouki, qui nous
propulsent vers les contrées d'Europe de l'est. Elle suggère
également, en seulement quatre morceaux, les plus belles promesses
pour une suite que l'on espère imminente.
Allumettes, bonnet
d'âne... ici en quelque sorte objets de poésie dans le quotidien,
comme peut l'être la musique dans bien des cas et comme le souligne
brillamment Hydras Dream et Orme à travers leurs histoire...
l'exercice étant qui plus est éminemment moderne, en témoigne
aussi les exemples récents... chez Mute, l'inspiration puisée chez
les frères Grimm du Ministry Of Wolves (Mick Harvey, Alexander
Hacke, Danielle de Piccioto et Paul Wallfisch), ou mieux encore, la
belle rétrospective du musée d'Orsay consacré à Gustave Doré
« L'imaginaire au pouvoir » et son incroyable force
picturale d'illustrations littéraires (entre autres), sombres,
tragiques et inquiétantes, de Perrault à Cervantès... Probablement
en cela qu'il faudra en 2014 conter sur le disque et la cassette
respectifs de nos deux groupes.
Riton
The
Little Match Girl en trois mots : rêveur, sombre,
mélancolique
Debut
en trois mots : rêveur, nomade, folklorique
Écouter
un extrait de The Little Match Girl :
https://www.youtube.com/watch?v=QGrB6AI_EnM
Écouter
l'EP d'Orme : http://orme.bandcamp.com/album/debut
Si
vous aimez ces albums, vous aimerez peut-être :
- Ceremony, ANNA VON HAUSSWOLF, Kning Disk, 2012 : Passé la surprise de la voix (on aime ou on aime pas... et à porter des t-shirts Burzum l'artiste ne semble de toute façon pas en clin à ne se faire que des amis), la musique d'Anna Von Hausswolf est tout bonnement prenante... pour le peu que l'on apprécie le songwriting tortueux, noir (la cérémonie semble être un enterrement), et surtout extrêmement théâtral.
- Elephant Castle, MATTI BYE, MARTINA HOOGLAND IVANOW, MATTIAS OLSON, Kning Disk, ??? : Visite d'un parc d'attraction abandonné, une atmosphère pour enfants depuis longtemps désertée... glaçant!
- River Arms, BALMORHEA, Western Vinyl, 2008 : S'il est un groupe dont Orme paraît très proche, c'est bien Balmorhea, dont les voyages acoustiques (de plus en plus post-rock) n'auront jamais été aussi poignants que sur les premiers albums.
Quel conteur ce Riton. ;)
RépondreSupprimerTu me flattes là :P
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