A défaut d'être
vraiment chaud, l'été a été étonnamment très beau...
musicalement parlant. Faut dire que d'habitude la période n'est pas
la plus propice, injustement boudée par les artistes et/ou les
auditeurs. Cette fois je n'ai pas eu à beaucoup secouer le tamis
pour y trouver les pépites.
Cette belle ruée
vers l'or débute en Virginie, dans le comté d'Orange, où Daniel
Bachman nous conte son Amérique. Un homme, une guitare et une
technique de vétéran à 24 ans seulement approchant de plus en plus
de ses héros dans le jeu du traditionalisme folk envoûtant, de
l'acoustique instrumental qui se suffit à lui-même pour raconter
des histoires. Une technique brillante de jeu aux doigts, de slide et
d'harmonies délicieuses : dextérité et émotion au même plan
nous tiennent captifs à en oublier les notes... le musicien se joue
des résonances et de l'esprit guidé par un bagage ambient et les
lumières de Jack Rose et de Pelt. Le style a fait du chemin depuis
une Sacred Harp plus imprécise ou même Grey-Black-Green,
au point de se permettre, en bel hommage, de conclure la sérénade,
tout comme John Fahey sur Days Have Gone By,
avec un ''We Would Be Building'' magnifié. Désormais il faudra
compter sur un Daniel Bachman et à une atmosphère qui tient autant
de campagne que de spiritualité, lorsqu'il s'agira de parler
d'American Primitive Music!
Il est moins question
de notes mais tout autant d'émotion avec Matthew Collings. Silence
is a Rhythm Too... Pas question de le contredire sur ce qui sonne
à la fois comme un manifeste et comme la correction de ce qui
pouvait manquer à son (tout de même très bon) premier album pour
en faire une expérience entièrement intense. Difficile de se faire
aux tentatives pop, chantées, et l'ensemble prolixe en mal de
texture, en connaissant le potentiel déballé avant ça par
l'artiste en duo. Et ce qu'on peut dire c'est que la promesse est en
tout point respectée! Les instruments s'écoutent et se laissent
parler, et le silence s'invite au gré des crescendos
d'orchestrations de cordes, converse avec les chuchotements
bruitistes et les percussions électroniques. Post-classique,
ambient, electro sensible au commencement, l'album verse peu à peu
dans une angoisse aux touches darkjazz et une mélancolie dont la
puissance atteint enfin les étincelles des collaborations avec
Talvihorros et Dag Rosenqvist... mélancolie parfaite pour introduire
celle du mois d'août.
Deux blues différents
entraînés par des pertes: un père pour Chris Weeks, un ami pour
Stephen Tanner. En mal d'inspiration et cafardeux, chacun s'en remet
au passé.
Sous sa nouvelle casquette
(CWM, pour Chris Weeks Music), Chris Weeks évoque le temps du tout
analogique, lorsque les boites à rythme étaient vraiment des
boites, ou lorsque DJ set ne rimait pas avec laptop. Il mêle avec
talent nostalgie musicale et souvenirs d'une enfance bien lointaine,
déroule une électro lo-fi sonnant comme les échos d'automates,
cliquetants comme les pluies et autres fields des quelques plages
ambient flottant entre chagrin et rêves d'évasion. Une belle
synthèse entre le drone magnétique produit sous le nom de Chris
Weeks et l'IDM de Kingbastard, un disque électronique de génie qui
se boit comme du sirop, bien dispensé des jeux de pistes et des
promos en ballon pour être un des meilleurs de l'année!
Et on s'enfonce dans
la dépression avec Stephen Tanner, en panne d'inspiration pour
l'écriture d'un nouveau Harvey Milk. En résidence chez le chanteur
et guitariste Creston Spiers, il traîne le deuil d'un de ses
meilleurs amis, Jerry Fuchs, batteur de !!!, Turing Machine ou
encore Maserati. Il
se néglige, a perdu l'envie de se raser et de laver les joues,
accumulant les fins de clope au coin du lavabo. C'est cet état
d'esprit qui fera émerger un premier album solo des plus
grandioses : il donne toujours dans le sludge/doom, mais dans
une veine bien moins furieuse, dont la lourdeur et le rythme
extrêmement ralenti en disent long sur sa tristesse. Itinéraire
d'une vie plombée, passage en revue des épisodes marquants du
musicien, de sa naissance prématurée le 17 août 1971 à
aujourd'hui et l'accouchement douloureux de ce disque sombre, désolé
et terrifiant, sans démanchés, sans accélérations... mais aussi
extrêmement épique, cinématographique et accrocheur, au son si
gras et jouissif que n'importe qui d'un poil musicien et amateur de
rock rêverait d'avoir à la maison!
Effectivement un bel été!
Riton
Orange
Co. Serenade en trois mots : spirituel, technique, envoûtant
Silence
Is A Rhythm Too en trois mots : mélancolique, angoissant,
étincelant
Flashback
Blues en trois mots : nostalgique, magnétique, cafardeux
Things
Haven't Gone Well en trois mots : dépressif, doooooom,
cinématographique
Si
vous aimez ces albums, vous aimerez peut-être :
- Apparitions At
The Kenmore Plantation,
SACRED HARP, Autoproduction, 2010 / Grey-Black-Green,
DANIEL BACHMAN, Debacle, 2011 :
Premier album avec l'alias Sacred Harp et premier sous son propre nom
(séparé d'un seul album, Feast Of The Green Corn)... Daniel Bachman
y est bien moins précis, plus drone, lo-fi et psychédélique, mais
déjà très prenant.
- Luck In The
Valley, JACK
ROSE, Thrill Jockey, 2010 :
Album posthume sorti un an après la disparition du musicien et
référence en terme de country envoûtante, partagée entre tradition américaine et inspiration orientales. L'artwork est de plus
signé par Daniel Bachman!
- Splintered Instruments,
MATTHEW COLLINGS, Fluid Audio, 2013 / Wonderland, MATTHEW COLLINGS &
DAG ROSENQVIST, Hibernate, 2012 :
A vouloir en mettre trop et notamment d'inclure du chant à sa
musique, Matthew Collings n'aura pas réussi à me satisfaire
entièrement sur ce Splintered
Instruments, qui
pourtant regorge de beaux moments. L'année d'avant, sa collaboration
avec Dag Rosenqvist aura au contraire offert une magnifique odyssée
anxyogène à deux guitares (et tas d'autres instruments bruitistes),
littéralement fascinante!
- The Lost
Cosmonaut, CHRIS
WEEKS, Odd John, 2013 / Subspace,
KINGBASTARD, Odd John, 2013 :
Drone spatiale, errance solitaire, et IDM rétro-futuriste... deux
autres albums brillants de Chris Weeks, tous deux sortis chez Odd
John.
- My Love Is
Higher Than Your Assessment Of What My Love Could Be, HARVEY MILK,
Yesha Inc., 1994 :
Hey oui ! Un disque qui a 20 ans aujourd'hui, sorti alors que le
groupe n'était encore qu'un duo. Stephen Tanner était déjà de la
partie, avec Creston Spears et Pauly Trudeau (qui quittera le groupe
par la suite), et Harvey faisait un sludge noisy de catacombe,
sombre, désespéré, qui ne manquait pas de se faire rock'n'roll et
aventureux. Terriblement génial!